Une vingtaine de députés impliqués ou jugés dans des affaires de corruption et de dilapidation des deniers publics

Pourquoi la politique et les affaires ne se marient-ils pas?

Depuis les élections législatives du 8 septembre 2021, on compte déjà au moins une vingtaine d’élus épinglés ou jugés pour leur implication présumée ou avérée dans des affaires de corruption, d’abus de pouvoir ou encore de dilapidation de deniers publics.


La corruption au sein du Parlement est-elle vraiment devenue un fait endémique et presque banalisé ? Depuis les élections législatives du 8 septembre 2021, on compte déjà plus d’une vingtaine de députés qui ont été épinglés ou jugés pour leur implication présumée ou avérée dans des affaires de corruption, d’abus de pouvoir ou encore de dilapidation de deniers publics. Les campagnes de moralisation liées à la lutte contre la corruption, portés par les chantres de la bonne gouvernance, n’a pas empêché la multiplication des scandales et la recrudescence de ce phénomène qui prend des formes inédites de collusion avec les organisations criminelles transnationales.

Le scandale le plus récent et évidemment le plus retentissant est lié à l’affaire dite «Escobar du Sahara». Considérée comme la plus grosse affaire de trafic de drogue international dans la région sahélo-nord-africaine, elle concerne Said Naciri, le député PAM, président du club Wydad et homme d’affaires réputé et le président de la région de l’Oriental, Abdennebi Bioui, un autre poids lourd du PAM, tous les deux placés en détention provisoire. Jeudi 21 décembre 2023, ils ont fait partie de 25 personnes ayant comparu devant le procureur général de la Cour d’appel de Casablanca, déféré par la police judiciaire après la fin de l’enquête préliminaire qui a duré des mois. L’enquête a été enclenchée après les révélations d’un ressortissant malien, un baron de la drogue arrêté en 2019, actuellement détenu à la prison d’Okacha après avoir été transféré de la prison d’El Jadida.

Outre Naciri et Bioui, le groupe de personnes qui font l’objet d’instruction comprend Abderrahim Bioui, le frère de Bioui, président de la commune de Ain Safa à Oujda, mais aussi des hommes d’affaires, des fonctionnaires des services de police et de la gendarmerie, des notaires et des employés de l’administration. Les chefs d’accusation dans cette affaire sont multiples allant de l’abus de pouvoir à la participation dans un réseau de trafic de drogue, en passant par la fraude, le faux et usage de faux, l’obligation de témoigner sous la menace, corruption...

Affaires scandaleuses
Dans la même semaine, Mohamed Simo, un député portant l’étiquette politique du Rassemblement national des indépendants (RNI) et président du Conseil municipal de Ksar El Kébir, a été poursuivi en état de liberté pour corruption, détournement et dilapidation de deniers publics sur décision d’un juge d’instruction de la 5ème chambre chargée des crimes financiers près la Cour d’appel de Rabat. En un peu plus de deux ans, les noms de plus de 20 parlementaires ont figuré sur une liste d’affaires scandaleuses. Certains ont été condamnés à des peines de prison tandis que d’autres sont mis en examen devant les juridictions du Royaume. Dans de nombreux cas, la Cour constitutionnelle les a déchus de leurs sièges.

Dans les rangs du principal parti composant la majorité gouvernementale, le Rassemblement national des indépendants (RNI), on peut citer le député Mohamed El Hidaoui, président de l’Olympique de safi, qui a été reconnu coupable, le 26 décembre 2023, dans l’affaire des billets du Mondial 2022. Condamné en appel à huit mois de prison ferme, il a par ailleurs perdu son siège de député, par décision de la Cour constitutionnelle. Rachid El Fayek, ex-député RNI, a été condamné en juillet de la même année à cinq ans de prison et à une amende de 80 000 dirhams, pour «traite des êtres humains et attentat à la pudeur» ayant conduit à la perte de l’hymen d’une fille mineure, une handicapée mentale. En février 2023, son « co-équipier » Ismail El Barhoumi a écopé de deux ans de prison pour détournement et dilapidation de deniers publics.


En octobre 2022, Younes Benslimane, lui aussi élu RNI, a été condamné à un an de prison avec sursis, assorti d’une amende de 20 000 dirhams avec peine minimale obligatoire, après avoir été poursuivi pour détournement de fonds publics. Quant à Abdelkader El Boussairi, il est toujours en arrestation pour «détournement et dilapidation de fonds publics, abus d’influence, faux et usage de faux d’un document officiel et adultère, en plus de non-signalement de délits dont il a eu connaissance. Au mois de novembre, la chambre criminelle de première instance près la Cour d’appel de Rabat a condamné Yassine Radi, député de l’Union Constitutionnelle (UC) et ex-maire de Sidi Slimane, à un an de prison ferme, pour non-dénonciation d’un crime, non-assistance à personne en danger et préparation d’un lieu à des fins de prostitution.

En octobre, un autre député UC, en l’occurrence Abdelaziz El Ouadki, a été arrêté et incarcéré à la prison locale d’Ain Sebaa, pour constitution d’une bande criminelle, faux et usage de faux documents officiels, participation à la dissimulation de données publiques et privées pouvant faciliter la matérialisation de preuves de crimes ou la révélation de ces preuves et l’identification des mis en cause, corruption et fraude délictuelle.

En mars 2023, l’ancien parlementaire UC, Babour Sghir, a été condamné à cinq ans de prison, pour escroquerie à une entreprise d’un montant supérieur à 600 000 dirhams. Hassan Arif, aussi député UC et président de la commune d’Aïn Aouda, est poursuivi pour «malversations frauduleuses dans la gestion et le recouvrement des taxes communales et outrage à agent public».


Dilapidation de fonds publics
L’autre allié de l’alliance gouvernementale, le Parti authenticité et modernité (PAM), compte quatre parlementaires impliqués dans des affaires douteuses. On cite le chef du groupe parlementaire de la formation à la Chambre des représentants, Ahmed Touizi, poursuivi pour failles financières dans la gestion des affaires de la commune d’Ait Ourir, dans la province d’Al Haouz et de Hicham Mhajri impliqué dans une affaire de dilapidation de fonds publics.

Le troisième pilier de la majorité gouvernementale, le parti de l’Istiqlal, n’est pas du reste, quoiqu’il est le moins impacté par ce fléau. Démis de ses fonctions de président de la commune de Bouznika, Mohamed Krimine fait l’objet d’une enquête pour falsification des fonds de subventions alloués à la viande rouge. Concernant l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le parlementaire Mohamed Aberchan a été traduit devant la chambre des crimes financiers dans le cadre d’une affaire de corruption, de falsification de documents officiels et de mauvaise gestion. Le parlementaire ittihadi Mohamed Aberkane, lui, est poursuivi pour corruption, falsification de documents officiels, abus de pouvoir, délivrance illégale de licences et de certificats administratifs, abus de confiance...


Poursuites judiciaires
Le parti du Mouvement populaire (MP) compte aussi des députés condamnés par la justice. Abdenbi El Aidoudi a écopé de deux ans de prison avec sursis pour détournement de fonds publics dans la commune de Haouafate, province de Sidi Kacem. Le parlementaire et ancien ministre Mohamed Moubdie est également incarcéré pour dilapidation de deniers publics. L’autre élu MP, Mehdi Atmoun, a été condamné à trois ans de prison, assorti d’une amende de 30 000 dirhams pour dilapidation et de détournement de fonds publics. Au sein de l’opposition, en dehors du MP, les poursuites judiciaires concernent aussi le Mouvement social-démocrate, en la personne de Thami Mesqi, déchu de son siège parlementaire par décision de la Cour constitutionnelle dans le cadre d’une affaire de corruption. Ou encore le Parti du progrès et du socialisme (PPS) dont le député Said Zaidi a écopé, en mars 2022, d’un an de prison et d’une amende de 800 000 dirhams, pour corruption également.

Autant de scandales qui ont rythmé l’actualité politique de ces deux dernières années. Ces affaires ont révélé, une fois de plus, que la politique ne se marie pas avec les affaires. Rares sont les exemples de ce couple qui ont réussi. Ces affaires ont aussi démontré que certains postes de responsabilité ou des sièges au Parlement se monétisent mais ne se méritent pas. Dans ce cas de figure, après les élections, certains députés tentent de fructifier leurs petites affaires, abusant de leur immunité et de leur pouvoir. Généralement, tout se déroule dans la discrétion jusqu’à ce que l’un des protagonistes décide de dénoncer ses compères ou lorsque l’affaire prend une ampleur internationale. C’est le cas de l’affaire Naciri et Bioui. Elle a dépassé les frontières nationales qu’il était devenu impératif d’agir pour démasquer ses acteurs.

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