Le Maroc subit un stress hydrique anormalement élevé

Politique agricole contre politique de l'eau

Le Royaume a lancé le Plan Maroc Vert avec des ambitions capitalistiques qui ne tenaient pas compte de la disponibilité de l’eau. Cette stratégie a porté ses fruits, en termes économique et financier. Mais elle a assoiffé un pays en proie à des sécheresses structurelles.


Malgré sa longue côte atlantique et méditerannéene et ses chaînes montagneuses de l’Atlas, le Maroc est un pays aride où le choix a été fait depuis une quinzaine d’années d’opter pour l’irrigation pour intensifier l’agriculture, quitte même à multiplier les cultures de contre-saison. En 2008, le Royaume a lancé le Plan Maroc Vert avec des ambitions capitalistiques qui ne tenaient pas compte de la disponibilité de l’eau. Cette stratégie a porté ses fruits, en termes économique et financier. Mais elle a assoiffé un pays en proie à des sécheresses structurelles.

En exportant ses tomates, ses avocats, ses pastèques, ses fraises ou ses oranges, notamment plantées dans des régions quasi- désertiques ou recevant peu de pluie, le Maroc exportait plutôt de l’eau. Cette agriculture, qui nous a coûtés des milliards de dirhams, gourmande en eau et tournée vers l’export plutôt que vers l’autosuffisance, avait des conséquences fâcheuses sur nos réserves d’eau. Mais ses promoteurs n’avaient cure des cris d’alarme de scientifiques et de militants écologistes. La stratégie Green Génération 2020-2030, qui a supplanté le Plan Maroc Vert, a introduit le mot « eau » avec comme un des objectifs stratégiques la préservation de cette denrée rare et raréfiée. Malgré cela, la cupidité des exportateurs n’a pas cédé face à la voix de la raison. On a continué à planter des pastèques ou des melons à Zagoura et des milliers d’hectares d’agrumes dans la région du Souss.

Sans parler de la pollution des cours d’eau et des nappes consécutive à l’utilisation intense des produits phytosanitaires, des déperditions, des arrosages des terrains de golf devenu un outil marketing pour des promoteurs immobiliers pour achalander et aduler une clientèle aisée ou encore des agglomérations satellites autour des grandes villes qui accentuent la pression sur les ressources en eau. La résultante est connue. La nappe phréatique s’est asséchée. Les barrages, aussi. Il a fallu que des rapports de bailleurs de fonds internationaux tombent pour que la réaction soit ferme. En juillet 2022, la Banque mondiale a considéré que le Royaume s’approche des pays qui vivent dans une situation de pénurie d’eau critique. La recette qu’elle a suggérée n’a pas manqué de choquer plus d’un. L’institution de Bretton Woods avait proposé d’augmenter les tarifs de l’eau comme seule solution pour rationnaliser son utilisation. Quelle ingéniosité ! Les grands agriculteurs et agroindustriels s’en mettent plein les poches et les petits ménages paient les pots cassés. Pourtant, l’agriculture consomme 85% de l’eau disponible. Qui était là le premier, l’oeuf ou la poule ! Aussi bizarroïde que cela puisse paraître, la Banque mondiale n’a pas remis en question ou en cause les politiques agricoles du pays. C’est la politique de l’eau qui devrait définir la politique agricole et non l’inverse.

Signée par les ministres de l’Agriculture et du Budget et publiée le 22 septembre 2023, une décision du gouvernement suspend les subventions des cultures d’agrumes, de pastèques et d’avocats, en vue de freiner l’extension des superficies irriguées de ces cultures qui ont atteint, voire dépassé, les objectifs fixés pour laisser la place à d’autres cultures. Concrètement, les agriculteurs ne pourront plus bénéficier des aides pour l’irrigation localisée : creusement de puits, pompage, équipement de goutte-à-goutte…

L’objectif du gouvernement est d’encourager des cultures « moins consommatrices en eau, notamment le caroubier, le cactus, l’amandier, le câprier, le figuier ». Après quoi ?! Le pire, c’est qu’avec ces politiques agricoles, les prix des légumes et fruits sont montés en flèche. Le pouvoir d’achat a été réduit comme une peau de chagrin. Où est passé le discours de la sécurité alimentaire et de l’autosuffisance en céréales et en légumes ? Gouverner, c’est prévoir. Dans notre pays, au lieu de planifier et de tout prévoir à l’avance, on se contente de réagir face à la catastrophe. C’est le cas de le dire aujourd’hui. On manque sérieusement d’eau à boire. Les eaux de surface et souterraines tarissent à un rythme croissant. Et c’est irréversible… Aujourd’hui, la facture de cette mauvaise gouvernance sera encore plus salée. Le Maroc va recourir, bon gré mal gré, au dessalement de l’eau de mer et au traitement des eaux usées. Au prix fort, bien entendu.

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