Mohsine Benzakour: "Le suicide a explosé au maroc à cause du Covid-19"

Entretien avec Mohsine Benzakour, psychosociologue et professeur universitaire

De plus en plus de Marocains se suicident. Si plusieurs présentaient des formes de dépression et d’anxiété avant la crise sanitaire, le Covid-19 a poussé une autre catégorie de Marocains à passer à l’acte, parmi elle, femmes, adolescents et ruraux, dont la vie est devenue infernale à cause de la crise liée au Covid-19.

Depuis le confinement de mars 2020, on parle dans les médias et réseaux sociaux de cas de suicide. On a l’impression que ce phénomène a augmenté en 2020. Qu’en-est-il?
Avant de vous répondre, je tiens à préciser que nous ne disposons pas de données chiffrées et d’analyse scientifique sur ce phénomène au Maroc. On ne peut pas lier les cas de suicide à des éléments factuels, puisque dans plusieurs cas nous ne sommes pas en mesure de définir exactement ce qui a poussé la personne à passer à l’acte. Deuxièmement, le suicide dépend essentiellement de la structure de la personne. Quelqu’un peut se suicider à cause de problèmes financiers majeurs, un autre à cause d’une dispute, d’une rupture ou d’un échec scolaire, par exemple.

Pour répondre à votre question, nous ne disposons que d’une approche globale, selon laquelle le Covid-19 a eu un grand impact psychologique sur bon nombre de Marocains. Nous savons pertinemment que des catégories de la population ont mal vécu l’isolement et le confinement, et ce en fonction de leur propre histoire psychologique, puisque certaines personnes étaient déjà dépressives et anxieuses avant la crise sanitaire. Si je prends, par exemple, le cas des personnes suivies et sous traitement, elles avaient un rapport avec l’autre, sous forme d’assistance et de collaboration afin de dépasser et traiter leur anxiété et dépression.

A un moment donné, entre mars et juin 2020, nous avons observé une hausse du taux de suicide car ces personnes ont perdu ce rapport à l’autre. Ce n’est qu’après, qu’elles ont pu être suivies à distance. Mais c’était trop tard car elles ont développé de la peur, de l’anxiété en l’avenir, peur d’être contaminé au Covid-19 ou encore de perdre son emploi… C’est tout un système de représentation négative qui n’a fait qu’aggraver leur situation de dépression. Outre cette catégorie de population, d’autres personnes qu’on pourrait qualifier de «normales» sont également passées à l’acte. A cause d’un confinement prolongé, elles ont atteint leurs limites et n’en pouvaient plus. Elles ont perdu espoir et de l’anxiété s’est rapidement installée, et s’est, malheureusement, développée en un passage à l’acte.

Comment détecter les signes qui pousseraient à un passage à l’acte?
On ne peut pas expliquer de manière scientifique ce passage à l’acte. Néanmoins, plusieurs facteurs peuvent pousser au suicide, comme une affection mal gérée, des sentiments mal exprimés, une histoire ancienne qui ressort et qu’on ne peut pas exprimer, une crise financière et un endettement, des disputes familiales ou conjugales, un sentiment de rejet…

Ces signes sont-ils différents chez les enfants? Qu’est-ce qui pourrait pousser un enfant ou un adolescent à se suicider, selon vous?
Effectivement, ce phénomène ne concerne pas que les adultes au Maroc. Plusieurs adolescents ont mis fin à leurs jours en cette période à cause, principalement, du confinement. On peut dire que le retour à la maison s’est mal passé, un retour vers cette chose qu’ils fuyaient avant le Covid-19, à travers leurs sorties entre copains pour se défouler.

De même, la pression culturelle a joué un rôle important dans cette pression, notamment vis-à-vis des filles. Certains parents ont contrôlé excessivement leurs filles, les privant parfois d’outils informatiques et des réseaux sociaux, qui étaient une forme d’échappatoire pour elles. Cette rupture avec le contact humain d’avant le Covid a été très choquante pour certains enfants et adolescents, provoquant un état dépressif, les poussant ainsi à passer à l’acte.

Certaines études révèlent que les femmes marocaines se suicident plus que les hommes. Quels sont les facteurs qui confirmeraient ou pas cette tendance?
Il faut tout d’abord contextualiser. Au Maroc, culturellement, la majorité des femmes ne s’occupent que des tâches ménagères. Or, pendant le confinement, le retour de l’homme à la maison a été négatif pour certaines, puisque tout reposait sur elles. La tâche a quasiment triplé, en plus de ça elle devaient supporter le harcèlement verbal à longueur de journée. Ça leur a rendu la vie infernale. Par ailleurs, les chiffres relatifs à la violence contre les femmes et les divorces ont explosé en cette période. Tous ces éléments peuvent constituer des facteurs qui pousseraient la femme à se suicider. Des facteurs qui pourraient être favorisés par la faiblesse de la personnalité d’une femme à l’autre, dans une société qui ne permet pas en effet à la femme de s’affirmer. Une société où ne valorise pas la Marocaine à sa juste valeur.

Le suicide a également gagné le monde rural ces dernières années. Comment expliquez-vous ce phénomène?
On dit toujours que le phénomène du suicide est citadin. Ça n’a rien à voir avec le stress de la ville. Or, aujourd’hui le monde rural a commencé à changer et la situation sociale et économique s’est aggravée à cause, notamment, des dernières années de sécheresse. On a ainsi constaté une hausse de l’endettement, du stress et une explosion des divorces, face à une absence de filets sociaux et un sentiment d’écartement et de marginalisation de la civilisation.

Quels conseils pourriez-vous donner aux parents dont les enfants sont devenus anxieux et dépressifs?
Les symptômes qui pourraient pousser à un passage à l’acte ne sont jamais clairs, mais toujours révélateurs. Il faut faire attention aux changements de comportements. Une personne qui était bonne vivante, qui communiquait beaucoup, et qui se retrouve soudainement en isolation, triste, qui change d’humeur facilement, qui ne se lave plus, qui ne prend plus soin d’elle, qui parle de négativité et de pessimisme et qui prend beaucoup de risques exagérés, qui parle de suicide… Tous les parents dont les enfants présentent ces symptômes et qui parlent de suicide, doivent prendre très au sérieux ce risque.

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