PATRIMOINE EN PÉRIL

À qui profite la destruction d’Imsouane ?

La démolition des maisons construites en meulière et en briques à Imsouane et Tasblast a fait couler beaucoup d’encre. L’Etat revendique la propriété de son domaine maritime, tandis que la population se sent impuissante car cet endroit constituait son unique moyen de subsistance. L’affaire Imsouane a transcendé les frontières, France 24, TV5, RFI en parlent.


Ce jeudi 18 janvier 2024, l’ambiance est électrique dans les deux localités de Tasbalst et Imsouane, dans la région d’Agadir, contrairement à d’habitude. Pour cause, les autorités locales ont notifié les habitants de ces petits villages de la côte atlantique sud du Royaume d’une opération d’évacuation visant les constructions bâties dans le périmètre du domaine public maritime (DPM). «Les pelleteuses ont commencé à poindre à neuf heures du matin. Je dois affirmer que le choc avait régné en maître à ce moment-là», décrit Said Amesder, natif de la région et correspondant d’un journal électronique local. Les habitants, dont une grande partie est originaire de la région même, n’ont été informés de cette décision qu’à la veille de son exécution. Notre source sur place nous explique que des habitants de cette zone côtière ont pris le «large» aussitôt qu’ils ont appris que les autorités locales allaient intervenir dans le cadre de cette opération.

Suffisamment de temps
L’exécution d’une décision aussi importante doit au moins impliquer le respect d’un délai de préavis de trois mois, estime Siham Azeroual, journaliste indépendante et militante. Ces derniers temps, les plans de démolition ont été mis à exécution de manière précipitée, notamment dans la région de Chtouka-Aït Baha (Sidi Ifni, Sidi Taoual, Sidi Ouassay, Sidi R’bat, Douira), ajoute-t-elle. Les habitants de ces zones rurales n’ont pas eu suffisamment de temps pour se préparer à leur nouveau sort, regrette-t-elle. A titre comparatif, la population de Tifnit a eu droit à cinq jours seulement et 24 heures pour celle de Sidi Taoual, précise-t-elle. Les autorités localesx nous disent que la décision concerne les habitats insalubres qui surplombent le domaine public maritime. Je ne suis pas d’accord avec cette formulation, nos maisons ne sont pas insalubres, s’indigne-t-elle. «Qu’on comprenne qu’elles sont construites selon les méthodes traditionnelles de nos ancêtres. Pourquoi on s’en prend au patrimoine des Amazighs ?». Quand le patrimoine des Amazighs est en danger personne n’intervient, mais quand c’est un Riad à Marrakech, le Maroc se bouge pour le sauver, clame-t-elle. Pour cette militante des droits de l’Homme, l’affaire Imsouane est inadmissible.

La sourde oreille du gouvernement
«On ne dort plus, on est en mode palpitations cardiaques à chaque fois qu’on les voit arriver, on essaie de loger ceux qu’on peut, aider les autres à récupérer leurs affaires des décombres», dresse-telle. Depuis le lancement des opérations de démolition, la jeune femme s’est révoltée en faisant valoir ses droits et les droits «bafoués» de la population autochtone, dont l’histoire et le patrimoine sont en train de s’écrouler sous des pelleteuses. Assurément, les choses ne vont pas remonter dans l’ordre puisque les maisonnettes d’Imsouane et de Tasblast ont été rasées au vu et au su de tous. Les gens essayent autant que faire se peut d’apporter leur aide en signant des pétitions (plus de 20 000 signataires) et en dénonçant en choeur le mutisme de la société civile et du gouvernement.

«Des habitations avec des papiers datant des années 1800 ont été détruites et ravagées, où est le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication pour protéger le patrimoine du sud ? D’autant plus que l’architecture troglodyte est un joyau en voie de disparition au Maroc». Approché par Maroc Hebdo, un aubergiste originaire d’Imsouane dénonce une décision injuste et radicale. «J’ai vu, de mes yeux, l’héritage de ma famille s’effondrer sans aucune considération pour nous», témoigne- t-il. «Si le gouvernement ferme les yeux sur l’injustice et fait la sourde oreille à nos cris de détresse, notre voix a trouvé écho auprès de la communauté étrangère». Et d’ajouter: «Influenceurs et journalistes étrangers en parlent et compatissent avec nous». «C’est honteux ce que le Maroc a fait à l’encontre de cette population. Je vous promets que je ne remettrai plus les pieds dans un pays qui ne respecte ni sa population ni son histoire», déclare sèchement un touriste français.

Mise en scène brutale
Parmi les centaines de maisons qui ont été détruites, bon nombre d’entre elles étaient des demeures anciennes, à l’instar de la maison de Younes Fizazi. Ce jeune de 40 ans, qui fréquentait Imsouane depuis les années 1990, est resté vent debout. «Ma propriété, qui est une véritable perle troglodyte, a été injustement visée par une tentative de démolition. C’est une action tout à fait inacceptable, compte tenu de la valeur historique et architecturale de cette propriété », explique-t-il. Cet entrepreneur a obtenu le soutien des personnes qui connaissent l’histoire de cette maison. Et il se trouve qu’au moment où les pelleteuses ont voulu l’effacer, une communauté de touristes présente sur place a spontanément résisté à cette action. «Je suis heureux de vous informer que mes discussions avec les autorités locales ont été fructueuses. J’ai pu présenter les documents justificatifs dont je dispose, et il semble que le rez-de-chaussée de ma maison ne sera pas démoli. Mais rien n’est encore sûr», nous dit-il.

Période de surf
Le choix du timing a été une erreur, commente un jeune formateur de surf. Janvier est le mois où les surfeurs du monde entier affluent en grand nombre vers la petite cité touristique pour profiter des marées changeantes et des excellentes vagues de la plage d’Imsouane. En plein pic, les caméras des touristes ont immortalisé la mise en scène brutale des autorités locales, poursuit-il. De l’autre côté du périmètre du droit public maritime, les petits investisseurs – détenteurs d’écoles de surf, de kiosques, de petits cafés, etc. –, qui occupaient l’espace public dans le cadre d’un contrat de location, se sont également vu démolir leurs commerces. Contacté par Maroc Hebdo, Abdelkrim Azenfar, directeur général de la Société de développement régional du tourisme (SDRT) de la région Souss-Massa, nous explique qu’un espace de plus de vingt hectares du domaine public de l’Etat (à proximité des habitations déconstruites), sera aménagée en vue d’abriter une trentaine de projets touristiques destinés aux petits et moyens investisseurs. L’état d’avancement du plan d’aménagement de cette zone avance de manière optimale.

Fin 2023, les conventions de financement ont été conclues, souligne-t-il. La phase des travaux débutera vers la fin du premier trimestre 2024, détaille-t-il. Selon le responsable, l’objectif étant de permettre à la population locale de diversifier ses activités économiques en dehors de la période de surf, et de promouvoir la composante animation et loisir. Interrogé sur le type de constructions qui sont prévues dans le cadre de ce projet d’aménagement, le directeur de la SDRT Souss-Massa affirme qu’il «n’y aura pas de mégastructures» et que la hauteur maximale des unités qui seront construites est limitée à R+1. Plus précisément, les travaux de construction porteront sur 11 hectares. Tandis qu’une assiette foncière de près de 12 hectares sera dédiée aux espaces communs. En réponse à une de nos questions concernant la mécanique de financement des projets, M. Azenfour précise que les investisseurs supporteront les frais de location ou d’achat, notant toutefois que les frais d’aménagement seront partiellement pris en charge par les investisseurs. La population locale aura-t-elle cependant les moyens des nouvelles ambitions du développement touristiques d’Imsouane ? Là est toute la question.

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