Une affaire politique aussi

3 ans de prison à l’encontre de Abdelali Hamieddine, pour complicité d’un meurtre vieux de 30 ans

S’il a été établi que Hamieddine avait participé, en 1993, au meurtre d’un étudiant de gauche, la vraie question est de savoir pourquoi écope-t-il aujourd’hui de seulement trois ans de prison ? Pourquoi maintenant ?

C’est l’une des affaires les plus mystérieuses de notre époque. Tellement elle est entourée de zones d’ombre. L’islamiste Abdelali Hamieddine, 52 ans, natif de Fès ancien parlementaire, intellectuel, constitutionnaliste brillant et un des ténors du Parti de la justice et du développement (PJD), a été condamné par la chambre criminelle de la Cour d’appel de Fès, mardi 11 juillet 2023, à une peine de trois ans de prison ferme pour laquelle il a interjeté appel. Cette sentence fait suite à sa mise en cause dans le meurtre de Ben Aïssa Aït El Jid, un étudiant de gauche, survenu le 25 février 1993, dans les alentours de l’Université Sidi Mohammed Benabdellah à Fès. Le dirigeant du PJD vient d’être jugé coupable de complicité d’homicide volontaire avec préméditation. C’était dans une de ces bagarres à couteaux tirés qui opposaient islamistes et communistes au sein et dans les abords de nombre d’universités marocaines durant la décennie 90. Comme par enchantement, un quart de siècle après ces faits macabres, l’affaire a été rouverte en décembre 2018 ! Le juge d’instruction du tribunal de Fès s’est appuyé sur des éléments nouveaux dont principalement le témoignage de l’étudiant Khammar El Hadioui lui-même agressé par Hamieddine et ses compères. Il s’agit du même témoin qui avait en 1993 avoué qu’il n’avait jamais repéré Hamieddine sur la scène du crime.

Du coup, certains se sont posés la question si Hamieddine avait-t-il vraiment tué ou participé au meurtre de Ben Aïssa Aït El Jid ? Mais ce n’est pas ce qui importe le plus. S’il a été établi que le jeune Hamieddine de 22 ans avait effectivement pris part à l’opération ayant conduit à la mort de Ait El Jid avec d’autres qui rouaient ce dernier de coups de pieds et de matraques, la vraie question est de savoir pourquoi Hamieddine écope-t-il aujourd’hui de seulement trois ans de prison ? Pourquoi maintenant ? Il est vrai que depuis, le jeune Hamieddine, devenu grand, a fait du chemin pour s’affirmer en un redoutable et virulent homme politique, n’hésitant pas à franchir les lignes rouges et proférer des propos considérés comme outrageux à la monarchie. Au parlement comme sur les colonnes des journaux. Puis, prenant à témoin les juristes, le complice de meurtre n’encourt-il pas les mêmes peines que celles prévues pour le meurtrier ?

Ce n’est pas tout. Pourquoi avait-il été condamné en 1993 à seulement 2 ans de prison ferme pour complicité de meurtre alors que l’un de ses complices, Mohamed Mohib, avait écopé, lui, pour les mêmes chefs d’inculpation, de 10 ans d’emprisonnement entièrement purgés à la prison Bourkayez de Fès? A l’époque militant islamiste, Hamieddine était un disciple dévoué de Abdelilah Benkirane. Son appartenance politique aurait certainement joué en sa faveur. D’ailleurs, lorsqu’en 2018, le témoin oculaire avait changé son témoignage, Benkirane était monté sur ses chevaux pour menacer ceux qui veulent la peau de son protégé . « Nous ne vous livrerons pas notre frère Hamieddine », avait martelé le leader islamiste, le 3 février 2018, au 6ème Congrès de la jeunesse du PJD. Déterrer cette affaire en 2018, au moment où le PJD était au pouvoir, n’est certes pas anodin. Ne cherchait-on pas à discréditer ce parti qui avait pignon sur rue aux yeux de l’opinion publique par le truchement de cette affaire et par d’autres ayant ciblé notamment l’ancien ministre de la Justice Mustapha Ramid ?

L’étrange verdict prononcé à l’encontre de l’islamiste Abdelali Hamieddine pose davantage d’interrogations que d’éléments de réponses. Les unes plus énigmatiques que les autres. Ne s’agit-il pas plutôt d’un arrangement entre l’Etat et le parti pour clore cette affaire une fois pour toutes ? Une affaire politique floue comme tant d’autres que le mystère entoure de toutes parts. Une affaire qui mérite, le moins qu’on puisse dire, d’être enseignée dans les bancs des universités. Un véritable cas d’école.

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