Sahara marocain : Antonio Guterres met les points sur les i


Si cela ne tient qu’au rapport présenté par le secrétaire général de l’ONU sur son Sahara, le Maroc a d’ores et déjà empoché la mise. Ceci dit, bien des dangers le guettent alors que les instances onusiennes s’apprêtent à entamer les discussions afférentes.

Silence complice et injustifié”, “réticence inexpliquée à appeler les choses par leur vrai nom”: le secrétaire général du mouvement séparatiste du Front Polisario, Brahim Ghali, l’avait, pour le moins, bien mauvaise à l’égard du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, dans la lettre qu’il lui a adressée le 15 octobre 2022. Et ce n’est, il faut le dire, pas sans raison. Dans son rapport annuel sur le Sahara marocain qu’il avait présenté cinq jours plus tôt au Conseil de sécurité, M. Guterres a pour la cinquième année de suite consacré “une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable” au différend autour des provinces du Sud. Et donc nulle place au soi-disant référendum d’autodétermination, auquel le Conseil de sécurité ne fait d’ailleurs plus référence depuis juin 2001.

Une seule base de discussion
En effet, il s’agit tout bonnement, dans le cas d’espèce, d’un appui qui ne dit pas son nom à l’initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie, seule voie de sortie actuellement posée sur la table qui réponde aux trois critères égrenés par M. Guterres. Ce que ni M. Ghali, ni encore moins derrière lui l’Algérie n’ignorent.

Au-delà de la posture de surenchère qu’elle affiche depuis plus de trois ans, avec comme objectif évident d’évacuer vers l’extérieur la contestation dont son régime fait l’objet et qui s’était manifesté à partir de février 2019 par le mouvement du Hirak, c’est aussi parce qu’elle a conscience que le vent est en train de tourner en faveur du Maroc que la voisine de l’Est s’oppose désormais à toute autre base de discussion qui ne serait pas celle référendaire. Une position qu’elle avait rendue publique dans la foulée d’ailleurs de la présentation du précédent rapport de M. Guterres et quelques jours avant l’adoption de la dernière résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara marocain (en cherchant visiblement aussi à influer sur l’instance onusienne).

En même temps, elle avait annoncé son retrait du processus de tables rondes, lancé justement voilà près de quatre ans sous l’égide de l’ONU à l’instigation du précédent envoyé personnel de M. Guterres, Horst Köhler. Retrait dont M. Guterres n’a de toute façon pas pris acte, puisque “tous les concernés” ont été appelés à reprendre le processus -ce qui inclut l’Algérie, qui avait pris part aux deux premières tables rondes de décembre 2018 et mars 2019, toutes deux tenues en Suisse.

En somme, le rapport n’arrange aucunement les affaires du camp algéro-séparatiste; cependant que, pour reprendre un adage marocain, le Maroc est loin d’avoir traversé la rivière et d’avoir les pieds secs: au contraire, les semaines qui séparent la présentation du rapport et le vote de la prochaine résolution du Conseil de sécurité pourraient être celles de tous les dangers. Et cela même s’il compte dans le conseil de nombreux amis. Premier de ces amis, les États-Unis, traditionnellement pen holders des résolutions relatives au Sahara marocain.

Contrairement à ce qu’avait ouvertement souhaité l’ancien ministre des Affaires étrangères algérien, Sabri Boukadoum, lorsqu’il avait reçu le sous-secrétaire d’État adjoint américain en charge des questions du Proche-Orient, David Schenker, en janvier 2021 à Alger, le changement d’administration advenu il y a 21 mois avec l’élection de Joe Biden à la présidence n’a pas fait varier d’un iota la position de l’oncle Sam sur la région concernée, dont il n’a en tout cas pas retiré sa décision d’en reconnaître la marocanité. Certes, l’ouverture d’un consulat à Dakhla tarde encore à venir -du fait principalement de l’opposition du Sénat, qui vote régulièrement contre sa construction depuis près de deux ans-, mais il faut en même temps signaler que l’administration Biden a par deux fois consécutives appuyé l’organisation à Mahbès, en plein dans la zone du Sahara marocain que revendique le Polisario, d’une partie de l’exercice militaire annuel African Lion, chapeauté par l’Africom, le commandement des États-Unis pour l’Afrique.

Retrait de reconnaissance de la RASD
Ainsi, le Maroc bénéficie essentiellement du soutien du complexe militaro-industriel US, qui, en contrepartie, espère bien pouvoir se tailler la part du lion dans les 20 milliards de dollars que les Forces armées royales (FAR) sont actuellement en train d’investir dans leurs équipements à l’horizon 2030 -le Royaume vient d’ailleurs de se voir valider, fin août 2021, par l’administration Biden un contrat de 141,1 millions de dollars en systèmes de commandement et de contrôle au sol. En dehors des États-Unis, la partie marocaine peut également compter, au niveau arabo-africain, pour l’appuyer au Conseil de sécurité sur le Gabon et les Émirats arabes unis, qui se sont d’ailleurs tous deux d’ores et déjà dotés de consulats dans la ville de Laâyoune respectivement en janvier 2020 et novembre 2021.

Et on peut même leur ajouter le Kenya, que l’élection de William Ruto à la présidence le 9 août 2022 a fait basculer du côté du Maroc et de ses intérêts: soutien depuis belle lurette de l’intégrité territoriale du Maroc, M. Ruto avait pour rappel, dès après son investiture le 13 septembre 2022, retiré sa reconnaissance de la soi-disant “République arabe sahraouie démocratique” (RASD), au nom de laquelle le Polisario revendique la partie du Sahara marocain anciennement colonisée par l’Espagne. “Le Kenya appuie le cadre des Nations Unies en tant que mécanisme exclusif pour trouver une solution durable au différend,” avait publié le dirigeant kenyan sur le réseaux sociaux après avoir reçu le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita.

Par ailleurs, le Maroc devrait aussi compter sur la neutralité de certains autres pays membres, à commencer par les membres permanents que sont la Chine et le Royaume-Uni, qui tous deux ont développé des relations commerciales renforcées avec le Royaume depuis un certain nombre d’années, ou encore l’Inde, puissance agricole qui lorgne depuis un certain temps sur les réserves de phosphate marocaines, et l’Irlande, premier investisseur étranger en 2018 et dont c’est à Rabat qu’en mars 2021 il avait décidé d’inaugurer la première ambassade de son histoire au Maghreb.

S’ils reconnaissent la “RASD” depuis août et septembre 1979, le Ghana et le Mexique ne devraient pas, eux non plus, pour leur part, vraiment apporter de l’eau au moulin de l’Algérie et du Polisario, même si le représentant permanent du deuxième pays cité à l’ONU, Juan Ramón de la Fuente, avait eu des propos peu amènes envers l’intégrité territoriale du Maroc au cours des derniers travaux de la quatrième commission de l’organisation -il avait, en gros, appelé “à écouter la voix du peuple sahraoui (sic) et respecter son droit à l’autodétermination” (sous-entendu par la seule voie du référendum).

L’impossible référendum
De même que l’Albanie, le Brésil et la Norvège devraient se contenter de suivre le mouvement, leurs gouvernements ne s’étant de toute façon jamais vraiment ouvertement prononcés au sujet du différend.

Il reste deux pays. D’abord la Russie, qui sans appuyer le Polisario avait fini par appeler en juin 2021 par la voix de la directrice du département de l’information et de la presse de son ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, à l’organisation d’un référendum au Sahara marocain. Sachant qu’il s’agit d’une puissance mondiale, le Maroc a néanmoins tempéré et s’était même gardé de condamner son invasion en cours depuis le 24 février 2022 de l’Ukraine; mais le fait qu’elle fasse montre d’un tropisme algérien clair, avec même par exemple la tenue du 16 au 28 novembre 2022 d’exercices militaires conjoints à 80km seulement de la frontière marocaine, a finalement poussé Rabat à franchir le Rubicon et à s’opposer le 12 octobre 2022 au niveau de l’ONU à l’annexion décrétée des régions ukrainiennes de Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijia.

Mais en plus de la Russie, il y a la France. D’un côté, celle-ci a toujours soutenu le plan d’autonomie, et ce depuis le premier jour où il avait été soumis à la discrétion du Conseil de sécurité en avril 2007. Mais de l’autre côté, le président français Emmanuel Macron met un entrain tel dans le fait de vouloir se réconcilier avec l’Algérie, avec aussi bien sa visite de fin août 2022 que celle plus récente de sa première ministre, Elisabeth Borne, que d’aucuns s’attendent à un possible changement de cap.

Ambiguïté française
En tout cas, il est clair que pour le Maroc il est actuellement une certaine ambiguïté française, à laquelle avait notamment fait allusion le roi Mohammed VI dans son dernier discours de la Révolution du Roi et du peuple du 20 août 2022 (sans toutefois faire explicitement mention de l’ancienne puissance coloniale). En dernière analyse, le début des discussions en prévision du vote de la prochaine résolution devraient donner une idée plus exacte...

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