Entre Alger et Madrid, la crise s'installe

L'Espagne accuse l'Algérie de bloquer sciemment les échanges commerciaux bilatéraux

Le gouvernement de Pedro Sanchez accuse sans détours l’Algérie de mettre le bâton dans les roues des échanges commerciaux bilatéraux. Ce n’est pas la première accusation directe à destination du régime algérien, qui ne se contrôle plus à chaque fois que les relations entre Rabat et Madrid sont portées à un palier supérieur.

Entre Alger et Madrid, rien ne va plus depuis l’annonce, le 18 mars 2022, de la nouvelle position de l’Espagne dans laquelle elle reconnait l’initiative marocaine de l’autonomie comme la solution la plus sérieuse et la plus crédible au différend autour du Sahara marocain. C’est une véritable crise politique entre les deux pays qui ne dit pas son nom. Jeudi 30 juin 2022, le gouvernement espagnol a accusé sans détours l’Algérie de bloquer la quasi-totalité des échanges commerciaux bilatéraux, à l’exception du gaz, contredisant ainsi les démentis d’Alger.

«Malgré les déclarations algériennes disant qu’il s’agissait de fantaisies malintentionnées de la part de l’Espagne, il y a effectivement un blocage des opérations commerciales bilatérales par l’Algérie», a affirmé sans détours le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, dans une interview à la Radio nationale (RNE). M. Albares a assuré jeudi qu’il défendrait «avec fermeté» les intérêts espagnols dans ce dossier. «Chaque fois que nous voyons des transactions bloquées, nous les transmettons à la Commission (européenne), qui demande des explications à l’Algérie», a déclaré le ministre.

Ce n’est pas la première accusation directe à destination du régime algérien, qui ne se contrôle plus à chaque fois que les relations entre Rabat et Madrid sont portées à un palier supérieur. Lundi 13 juin 2022, la ministre espagnole de l’Économie, Nadia Calvino, a affirmé, dans un entretien accordé à Radio Catalunya, que «la décision de l’Algérie de suspendre un traité d’amitié avec l’Espagne le 8 juin 2022 n’est pas surprenante, car Alger s’aligne de plus en plus sur la Russie ». «J’ai vu à l’époque que l’Algérie était de plus en plus alignée sur la Russie, donc cette décision de suspendre le traité ne m’a pas surprise», a-t-elle martelé. Elle n’est pas la seule à croire, dur comme fer, à cette thèse. La veille, José Manuel Albares a confié que la Russie aurait «poussé l’Algérie» à créer une crise avec son pays.

Guerre économique
Le rappel de l’ambassadeur d’Alger à Madrid n’a pas été vraiment l’étincelle qui a enclenché cette crise. Tout a commencé le 8 juin lorsque l’establishment algérien a décidé, unilatéralement et sans préavis, de suspendre le traité d’amitié et de bon voisinage et la coopération économique avec l’Espagne. Pire, il décide des mesures coercitives à l’encontre des banques algériennes qui continuent de traiter avec des entreprises espagnoles tout en gelant les démarches de domiciliation bancaire pour l’import et l’export avec l’Espagne. Alger ne s’attendait pas vraiment à une réaction forte de la part de l’Union européenne qui a considéré cette «déclaration de guerre économique» contre un membre de son groupement économique et monétaire comme une attaque visant les vingt-sept pays composant l’Union.

Le Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Josep Borrell, et le vice-président de la Commission en charge du Commerce, Valdis Dombrovskis, ont mis en garde l’Algérie, vendredi 10 juin 2022, contre les «mesures coercitives appliquées à l’encontre» de l’Espagne. «Cela conduirait à un traitement discriminatoire d’un Etat membre de l’UE et nuirait à l’exercice des droits de l’Union au titre de l’accord», d’association avec l’Algérie, conclu en 2005, ont-ils menacé. Cette menace sera suivie d’une menace on ne peut plus franche du gouvernement espagnol. Trois jours plus tard, le voisin de l’Est dément cet ordre et, par la voix de professionnels et de politiques, fait porter le chapeau à un simple fonctionnaire d’être l’auteur de l’instruction.

Volte-face
Le président de la Fédération algérienne des agences de tourisme, Mouloud Youbi, a nié, samedi 25 juin, dans des déclarations à la presse, tout ordre du ministère du Tourisme portant suspension des relations avec l’Espagne. «La tutelle nous a expliqué qu’il s’agit d’une erreur professionnelle du délégué du ministère du Tourisme à Bouira. En revanche, le ministère a encouragé les agences de voyages à continuer la mise en oeuvre de leurs programmes touristiques avec l’Espagne de manière normale. Le ministère dément ainsi tout gel des relations touristiques entre les deux pays», a-t-il tenté d’expliquer.

Le président du Syndicat algérien des agences de voyages et le député Farès Rahmani, membre de la Commission des Affaires étrangères à la Chambre basse du Parlement, ont relayé la même histoire après avoir trouvé le bouc-émissaire «idéal». Dans des déclarations à Echoroukonline, ce dernier a affirmé que «l’instruction de geler les relations touristiques entre l’Algérie et l’Espagne est sans fondement. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’un acte isolé du délégué du ministère du Tourisme de Bouira». Il a appelé les autorités de tutelle à enquêter sur cette affaire qui, selon lui, a soulevé «de vives préoccupations parmi les membres de la communauté» algérienne établie en Espagne.

Cette volte-face forcée ou cette mise en scène de bas étage qui ne trompe plus personne n’a pas servi à dissimuler les aléas politiques entre Alger et Madrid. La junte militaire algérienne, qui prend des décisions hâtives et surtout irréfléchies tout en se tirant une balle dans le pied, essaie de cacher le soleil avec un tamis. Les déclarations du ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, sont là pour confirmer que Madrid réitère un message clair à l’adresse d’Alger: La nouvelle politique basée sur la transparence avec le Maroc et le partenariat gagnant-gagnant est un choix assumé par l’Espagne et ne peut, en aucun cas, être exploité par l’Algérie comme base pour faire du chantage.

Et si le régime algérien persiste dans cette voie, il aura non seulement à en assumer les conséquences mais aussi à s’attirer les foudres de l’Union européenne, dont une bonne partie des membres sont les principaux clients d’Alger.

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