Guerre en Ukraine : Le moment de trancher

Moscou prend de plus en plus ouvertement fait et cause pour la partie séparatiste. N’est-ce finalement pas le moment pour le Maroc de choisir son camp?

Depuis le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, beaucoup redoutent une extension du conflit au reste de l’Europe voire de la planète, au point que l’on se retrouve, pour la troisième fois de l’histoire, dans une Guerre mondiale.

C’est en agitant cette menace que le président américain, Joe Biden, avait expliqué, le 11 mars 2022 en conférence de presse, son refus de déclarer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine.

Et si cette Guerre mondiale avait, en fait, déjà commencé et qu’on n’avait juste pas le recul nécessaire pour en prendre pleinement conscience? Qu’au moment où les historiens viendraient consigner leurs livres, ils expliqueraient qu’à la fin de l’hiver 2022, nous y étions déjà? Mondiales, les répercussions de la guerre en Ukraine le sont, en tout cas, déjà.

Économiques d’abord, et cela le Maroc, en particulier, en sait quelque chose, alors qu’il doit subir une de ses plus importantes inflations des dernières années, consécutive à l’augmentation du prix du gaz et du pétrole, dont l’Ukraine et la Russie sont des centres de production et de transit importants.

Mais il y a aussi, et cela deviendra sans doute de plus en plus évident avec le temps, des répercussions politiques et diplomatiques: au niveau du Tiersmonde notamment, où le non-alignement fait figure de doctrine depuis la conférence de Bandung, en Indonésie, en avril 1955, les États seront, incontournablement, sommés de choisir ouvertement. Fait éloquent, on a carrément vu la Suisse, le pays neutre par excellence qui a même pu se prémunir de la Seconde Guerre mondiale alors que celle-ci faisait rage autour d’elle en Europe, adopter les différents trains de sanctions décrétés par l’Occident et ses alliés vis-à-vis de la Russie et notamment le cercle proche de son président, Vladimir Poutine.

Dans cette circonstance, le Maroc pourra-t-il poursuivre sa politique de diversification de ses partenaires, officialisée par le roi Mohammed VI dans son discours au premier sommet Maroc-Pays du Golfe organisé fin avril 2016 dans la ville de Dariya, en Arabie saoudite? Et, concrètement, exprimer d’un côté “son soutien à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de tous les États membres des Nations unies”, comme il l’avait fait le 26 février 2022 par le biais du ministère des Affaires étrangères deux jours après le début de la guerre, tout en se gardant, de l’autre côté, de prendre part quatre jours plus tard au vote afférent de l’Assemblée générale des Nations unies (même si la diplomatie marocaine a bien précisé, à cette dernière occasion, que sa position n’était pas celle d’un “désalignement”)? On peut bien sûr, jusqu’à un certain point, comprendre le point de vue marocain: comme l’avait par exemple souligné le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, dans une interview au média électronique Kifache ayant fait suite au rétablissement des relations avec Israël, “le Maroc a sa propre affaire”, à savoir celle du Sahara, dont la reconnaissance de la marocanité par les États-Unis a d’ailleurs été derrière la décision du Royaume de normaliser avec l’État hébreu. Et il se trouve que la Russie est membre permanent du Conseil de sécurité, sous l’égide duquel se règle ladite affaire.

Mais il faut aussi dire que le pays eurasiatique prend de plus en plus ouvertement fait et cause pour la partie séparatiste, à telle enseigne que la directrice du département de l’information du ministère des Affaires étrangères russe, Maria Zakharova, avait souligné, le 10 juin 2021, que son pays était favorable à l’organisation d’un soi-disant référendum d’autodétermination au Sahara marocain: rappelons que pour beaucoup moins que cela, le Maroc en était arrivé à la rupture avec l’Allemagne et l’Espagne et avait rappelé, en mai 2021, ses ambassadrices dans ses deux pays, à savoir Zohour Alaoui et Karima Benyaïch (qui, à ce jour, n’a d’ailleurs pas regagné son poste).

Pourquoi y aller alors encore avec des pincettes, avec, en plus, le risque de s’aliéner les pays occidentaux? Car du fait que l’Algérie, dont le mouvement séparatiste du Front Polisario n’est en vérité qu’un faux-nez, est la principale cliente mondiale (!) de l’industrie de l’armement russe, il ne faut évidemment pas s’attendre à ce que la Russie change son fusil d’épaule.

Tout au plus, et ce sont là, soit dit en passant, les mots tenus par M. Poutine lui-même au roi Mohammed VI lors de sa visite à Moscou début mars 2016, elle tiendra “dûment compte” de l’initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie, en poignardant, à la première occasion venue, le Maroc dans le dos (quelques semaines plus tard, la capitale russe réfutera ouvertement au Conseil de sécurité que le Royaume fasse “des efforts sérieux et crédibles”). N’est-ce finalement pas le moment de se jeter à l’eau?.

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