L’agriculture fait indéniablement partie des grandes success stories marocaines du dernier quart de siècle. Depuis que, fin avril 2008 à Meknès, le Plan Maroc vert (PMV) avait été lancé, en marge de ce qui constituait alors la troisième édition du Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM) (lire notre dossier , pages 8-49), le secteur agricole national connaît une transformation inédite dans son Histoire. Ainsi, nous ne nous contentons plus de produire pour essentiellement nous nourrir, comme cela fut jadis le cas -la fameuse agriculture vivrière que nos ancêtres ont toujours connu. Au contraire, nos tomates, agrumes et autres fruits rouges comme nos fraises et nos myrtilles alimentent jusqu’au stands des pays les plus éloignés. Ils s’exportent, pour ainsi dire, et ils s’exportent bien. Eu égard à notre économie, ils constituent désormais une source de valeur ajoutée établie. En devises sonnantes et trébuchantes, cela fait des milliards de dirhams de gains pour notre trésorerie par an, et cela permet, en parallèle, de développer le monde rural, cet éternel oublié des politiques publiques, comme dirait l’autre. Une fois le cercle refermé, on ne gagerait que de ses vertus. Nulle quadrature apparente pour noircir le tableau.
Mais il est bien des mais. Premier mais: Mère Nature s’est, entretemps, faite capricieuse. Elle l’a, certes, toujours été, de tous temps, poussant, heureusement, les Hommes à faire à chaque fois preuve d’ingéniosité, mais c’était sans compter qu’elle se décide, du jour au lendemain, à faire preuve d’avarice net en termes de pluies. N’étaient les dernières précipitations que le Maroc a connues au tout début de l’actuelle saison printanière, nous serions en plein de notre sixième exercice de sécheresse consécutif. Comme s’en alarment les experts les plus en vue, le phénomène devient clairement structurel, et loin d’être uniquement intermittent. Il faut, en somme, apprendre à vivre avec moins d’eau que d’habitude.
Deuxième mais: si nos campagnes ont bien évidemment profité de la nouvelle manne agricole, ce n’est pas forcément de façon inclusive. Si l’on en croit la littérature économique récente, ce sont plutôt les grands propriétaires qui ont tiré leur épingle du jeu. Le petit fellah, lui, dans bien des régions, passe à la trappe. Souvent, il se retrouve à devoir renoncer à ses terres et tenter sa chance en ville. Certains y réussissent, mais en attendant, les ceintures de pauvreté grossissent à vue d’oeil aux périphéries de nos principales métropoles. Un autre problème sur lequel cela vaut bien le coup de s’attarder davantage en d’autres circonstances.
À sa décharge, l’État n’a pas été pris au dépourvu. Dès février 2020, il lançait “Green Generation”, pour à la fois succéder et actualiser le PMV. Résultat, à mi-chemin de son échéance finale, prévue pour tomber en 2030, les mesures sont prises tambour battant pour adapter notre politique agricole à la fois à notre réalité naturelle et sociale. En amont, les cultures hydrovores ne bénéficient plus, depuis près de douze mois, du soutien public, faute de pouvoir les interdire de façon résolue. De nouvelles ressources hydriques sont explorées, à commencer par le dessalement, qui d’ores et déjà fait des merveilles dans le Souss avec la nouvelle station d’Agadir, en service depuis fin juin 2022 (on peut aussi faire mention, dans le même sillage, du traitement des eaux usées). À ce niveau, le roi Mohammed VI a notamment eu la clairvoyance d’associer depuis décembre 2022 le groupe OCP, qui, avec sa force de frappe financière et son expertise en matière d’agriculture, peut grandement contribuer à accélérer le chantier.
Quant aux agriculteurs, ils se voient, à côté de cela, plus que jamais accompagnés. Sous les auspices du ministère de tutelle, de vastes programmes de soutien financier et technique aux porteurs de projets sont menés en leur faveur. Le mot d’ordre donné par Mohammed VI au Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, est en tout cas clair, tel qu’il a été à plusieurs reprises réitéré par le chef de l’État lui-même: faire en sorte qu’émerge une véritable classe moyenne agricole, à même de consommer et d’aider à instaurer une nouvelle dynamique de développement autocentré. Inutile aussi de rappeler que la protection sociale universelle concerne aussi les agriculteurs, si ce n’est au premier chef. “Climat et agriculture: Pour des systèmes de production durables et résilients” est donc le thème de cette année du SIAM. Une sorte d’impératif aussi, pour que la success story se prolonge finalement encore davantage dans le temps.