La crise du pétrole bouleverse la donne en Algérie

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Ça grogne à Alger


La baisse tendancielle du baril ébranle une économie algérienne bâtie sur la rente pétrolière. Les retombées sociales s’annoncent douloureuses. Le pays est au bord de la banqueroute.

Cela coule de source énergétique, lorsque le baril du pétrole va mal sur les marchés internationaux, tout va mal en Algérie. La relation de cause à effet est quasi-automatique, dans un pays où les hydrocarbures représentent 60% du budget de l’État et 97% du total des exportations. Les monarchies et les républiques monarchiques néanmoins pétrolières, ne se limitent pas aux pays du Golfe si mal aimés dans les cafés de commerce de Bab El Ouad. C’est juste pour dire qu’aussi bien dans la péninsule arabique qu’au pays des Aurès au Maghreb, on importe presque tout au tarif du cours du dollar dicté par les bourses d’Europe et d’Amérique.

Une perspective cauchemardesque
Pas la peine d’être économiste aguerri pour constater que les réserves de devises de la Banque centrale d’Alger ont connu la même chute libre. Elles se comptabilisaient en centaines de milliards de dollars, au plus fort du prix du baril qui dépassait les 120 dollars, au début des années 2000; pour ne plus afficher qu’une petite centaine de milliards en 2017. Pour un pays qui a été économiquement géré avec de généreuses dotations budgétaires, c’est peu, très peu. Au rythme actuel, qui maintiendrait la même ligne de conduite de la finance publique, les réserves actuelles ne tiendraient pas deux années successives.

Il est fortement compromis le temps des vaches grasses; voici venu le temps des vaches maigres. Reste à savoir à quel prix social et par quel réaménagement politique faut-il passer pour être conforme au nouvel ordre mondial dans un pays où la conjoncture a des allures de structures dogmatiques bien ancrées! Ce tournant attendu et pressant pourrait être douloureux, vu la nature du régime et le spectre d’une situation qui sent la poudre. Soyons clairs, il ne s’agit pas de s’en réjouir de ce côté-ci de la ligne de fracture frontalière. Ce serait suppléer l’opposition algérienne. Il faut au contraire s’en inquiéter, car une crise interne à dimensions multiples, économiques, sociales et politiques pourrait être mauvaise conseillère. L’Histoire nous enseigne que pareille situation peut appeler à des échappatoires de diversion catastrophique pour toute la région. Cette perspective cauchemardesque mise à part, bien que présente, il faut bien que ce moment de vérité soit pris en charge par les instances politiques en place. Ce qui n’incite pas à des effusions d’optimisme. C’est au contraire toute la complexité d’une situation nationale et régionale qui ne peut faire l’économie d’une spécificité algérienne devenue anachronique. L’Algérie, colline imprenable d’un tiers-mondisme triomphant, sur fond de dogmatisme socialisant, n’est plus.

Des réformes drastiques
Une donnée première. La société algérienne n’est pas habituée à une quelconque forme de rigueur budgétaire, au détriment des services publics; pas plus qu’à une tentative d’introduire une liberté des prix qui ne dit pas son nom. Même furtivement, ce serait mettre le doigt sur le point nodal de toutes les représentations populaires de l’Algérie post-coloniale. En résumé, un État providence garantissant une accessibilité pour tous et au meilleur prix, aux produits de première nécessité. Mais surtout un État premier pourvoyeur d’emplois dans une administration pléthorique.

Demander aux Algériens d’avaler, sans sourciller, des réformes drastiques qui ressemblent à un retour sur des acquis toujours perçus comme des droits sociaux inaliénables, quasiment constitutifs de l’État, c’est risquer un rejet sans appel. Déjà, les automobilistes se rendent bien compte qu’ils paient deux fois plus cher le litre d’essence et de gasoil. Les taxis et les bus interurbains ont répercuté la hausse sur leurs tarifs. Même les distributeurs de lait ont dû faire grève pour demander une revalorisation de leurs marges de bénéfice, bloquées par l’État. La réduction ou le gel des subventions publiques est donc passé par là. Une première dans l’Algérie indépendante.

Ajoutés aux multiples retombées sur toute la chaîne de transport, d’habitat et de consommation courante, tous les ingrédients sont réunis pour que la rue prenne le pas sur les régulateurs sociaux tels les syndicats et les regroupements associatifs. La société civile n’a pas encore vraiment vu le jour en Algérie. Elle est même combattue par les caciques du FLN et de ses excroissances. Dores et déjà, le pouvoir d’achat des Algériens est lourdement impacté.

La paix sociale, que le pouvoir central a pu maintenir jusqu’ici, tient à un fil. Ahmed Ouyahia, nommé premier ministre le 15 août 2017, pourra-t-il endiguer la vague mondialiste de remise en question des choix économiques et sociaux jusqu’ici soutenus à coups de rallonge budgétaire? Sa quadruple chefferie gouvernementale lui sera-t-elle d’une quelconque aide cette fois-ci?

“La malédiction du pétrole”
Une question est dans tous les esprits. Quel sera l’impact de la politique algérienne sur la question du Sahara marocain? L’Algérie a-telle encore les moyens d’offrir le gîte, le couvert, l’armement et la logistique diplomatique d’une présence de parade dans les salons et les aéroports? On est loin des promesses de Abdelaziz Bouteflika et de son ex-premier ministre, Abdelmalek Sellal, lors de la campagne pour un quatrième mandat d’un président sur chaise roulante.

Le risque de cassure sociale est flagrant. Le bilan est lourd après plus de cinquante ans d’indépendance. La presse algérienne n’hésite pas à titrer sur une gestion économique archaïque. C’est en fait tout l’édifice politique qui tremble sur ses fondations. Car voilà une société avec une cohésion constamment maintenue sous perfusion publique, où l’individu a pratiquement perdu le sens et l’usage du savoir-faire, pour répondre à la demande et dégager son propre revenu.

Un décalage particulièrement pénalisant en agriculture combattue par la politique boumedienniste de “l’industrie industrialisante” des années 1970. Aujourd’hui, le pain des Algériens n’a jamais été aussi improbable. On retrouve, à ce niveau, une sorte de connexion entre le Machrek et le Maghreb pétroliers. Une formule a devancé cet état de fait largement consommé: "la malédiction du pétrole"

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