La fuite des cerveaux prend des dimensions alarmantes

Destination: Paris, Montréal, Berlin, Dubaï...

Ces dernières années, le Maroc est confronté à une problématique inquiétante qui est la fuite des cadres. D’après de récents chiffres, plus de 600 ingénieurs marocains quittent le pays chaque année. Une tendance qui ne cesse d’évoluer à la hausse.

Plus de 600 ingénieurs quittent le pays annuellement dans le cadre du fléau qu’on appelle aujourd’hui «fuite des cerveaux», a déclaré en janvier 2019 devant la Chambre des Représentants Saïd Amzazi, ministre de l’Éducation Nationale, de la Formation Professionnelle, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Au même moment, l’Association des Ingénieurs de l’École Nationale Supérieure d’Informatique et d’Analyse des Systèmes (ENSIAS) a affirmé que, sur les récentes promotions, jusqu’à 80% des lauréats ont été embauchés par des entreprises européennes.

Offres alléchantes
De son côté, la Fédération Marocaine des Technologies de l’Information, des Télécommunications et de l’Offshoring (APEBI) annonce que le secteur IT au Maroc perd chaque mois 50 ingénieurs et que trois entreprises étrangères viennent tous les 15 jours pour recruter une dizaine d’ingénieurs.

«La fuite des cerveaux n’est pas un phénomène nouveau. Il est simplement mis à nu par l’évolution et les besoins du secteur des hautes technologies alors qu’il concerne tous les secteurs. Plus de 7.000 médecins marocains exercent en France et 38.000 jeunes Marocains y font leurs études. Combien réintègrent l’économie marocaine à la fin de leurs cursus?», s’interroge Saloua Karkri Belkeziz, présidente de l’APEBI.

Pas grand monde si l’on en croit Yassine, chef de projet informatique dans une société parisienne. «Franchement lorsque j’ai fini mes études à Paris, à aucun moment je n’ai pensé revenir au Maroc», nous explique ce Casablancais de naissance, «d’autant plus que j’ai reçu une offre de travail trois jours après l’obtention de mon diplôme». Selon l’étude Global Talent Survey 2018, qui a porté sur un échantillon de plus de 360.000 personnes réparties dans 198 pays, dont 6.721 Marocains, 44% des sondés de notre pays déclarent vouloir rester à l’étranger à vie, 27% entre 5 et 10 ans et 23% entre 2 à 5 ans.

«Les instituts marocains forment annuellement près de 8.000 cadres dans plusieurs spécialités liées aux technologies de l’information. 20% d’entre eux optent pour l’émigration. Aujourd’hui, il n’y a plus de frontières ni de barrières de langue. Toute l’Europe, Dubaï, les États- Unis, l’Australie… sont des destinations possibles», ajoute de son côté Saloua Karkri Belkeziz, présidente de l’APEBI. 80% des actifs marocains souhaiteraient travailler en dehors du Maroc selon l’étude Global Talent Survey. Ce pourcentage est très largement au-dessus de la moyenne mondiale, qui se situe à 57% et qui a connu une hausse de trois points depuis 2014.

Possibilité d’évolution
Selon la Global Talent Survey, les trois principales raisons qui motivent les candidats à l’expatriation sont: acquérir de l’expérience professionnelle, enrichir leur expérience personnelle et chercher de meilleures opportunités de carrière. Des chiffres confirmés par l’enquête publiée par Rekrute.com en avril 2018 (menée auprès de 1.882 personnes résidentes ou non au Maroc), qui indique que 91% des Marocains diplômés, principalement des cadres, souhaitent s’expatrier. «Au Maroc, je travaillais dans une grande entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies mais j’ai rapidement déchanté lorsque j’ai compris que je n’avais aucune possibilité d’évolution», nous raconte Mehdi, qui a pris la décision radicale de s’envoler pour le Canada pour poursuivre sa carrière. «J’ai été approché par une boîte de Montréal et je n’ai pas hésité une seconde avant de quitter le Maroc», se souvient Mehdi.

Le Canada a l’une des politiques d’immigration les plus positives au niveau international. Il est reconnu comme un pays créant un espace favorable à l’épanouissement humain des nouveaux arrivants. Sa qualité de vie attire de plus en plus les Marocains. Mais la France reste encore la terre d’accueil privilégiée des cerveaux marocains, pour des raisons culturelles, linguistiques, historiques et de proximité. Suivent donc le Canada, l’Allemagne, les États-Unis et la Belgique.

La nostalgie du bled
Après plusieurs années d’expatriation, certains font le choix d’un retour au pays. Rentrer au Maroc est souvent l'occasion, pour les profils qui reviennent, de faire valoir leur expérience acquise à l’étranger et d’apporter de nouvelles idées et concepts à exécuter dans leur pays d’origine.

Si certains choisissent de rejoindre une structure existante, d’autres préfèrent créer leur propre business. «J’ai fait le choix de revenir après 26 ans en France», explique Omar. Cet avocat spécialisé dans les divorces a profité de la réforme de la Moudawana en 2005 pour ouvrir son cabinet en plein coeur de Casablanca. «Mes amis, qu’ils soient marocains ou français, n’ont pas vraiment compris mon choix de retourner au pays, mais ils ont compris que le Maroc et ma famille me manquaient énormément et qu’il y avait une belle opportunité de travail. Aujourd’hui, je suis très content de mon choix. Hamdoullah».

Le style de vie «à la marocaine» manque aux expatriés. Les nombreuses années passées loin du pays, souvent dans un contexte totalement différent sur les plans culturel, linguistique, environnemental, etc., incitent de nombreux Marocains à rentrer au pays pour retrouver le rythme de vie qu’ils ont toujours connu et auquel ils sont le mieux adaptés. Le Maroc ne manque d’ailleurs pas d’atouts pour séduire, en termes de qualité de vie, d’offre culturelle et gastronomique, de paysages, d’infrastructures...

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