Les peines alternatives au lieu de la prison


Le projet de loi n°43.22 relatif aux peines alternatives suscite un vif intérêt. Face à l’encombrement des prisons et à la nécessité de favoriser la réinsertion sociale des personnes poursuivis pour des délits mineurs, ce projet de loi propose de nouvelles approches pour remplacer les peines de prison. Focus sur les contours de la dernière mouture de ce projet de loi.

“Selon les données datant de 2020, plus de 44,97 % des détenus se trouvant dans les prisons marocaines purgent des peines ne dépassant pas un an”, peut-on lire du préambule du projet de loi n°43.22 relatif aux peines alternatives. Le constat est sans appel: les prisons sont pleines et leur désengorgement s’impose pour pouvoir limiter la récidive et assurer la réhabilitation et l’intégration sociale des personnes qui ont commis des délits mineurs. C’est dans cet esprit que le projet de loi sur les peines alternatives a été pensé, écrit, puis modifié avant d’être approuvé au Conseil de gouvernement le jeudi 8 juin, en attendant son passage par le circuit législatif.

Amende journalière
Les peines alternatives sont des sanctions qui peuvent être prononcées à la place d’une peine de prison ne dépassant pas cinq ans ferme. Le projet de loi n°43.22 prévoit trois types de peines alternatives: le travail d’intérêt général, la surveillance électronique et la restriction de certains droits. Cette mesure n’est pas possible dans les cas de récidive, et est également exclue pour les infractions graves (terrorisme, blanchiment de capitaux, viol, exploitation sexuelle des mineurs, etc.) L’amende journalière, comme peine alternative, avait suscité une vive controverse suite à sa proposition par le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi.

Elle n’a pas finalement été retenue dans la version finale du projet de loi. Toutefois, cette mesure est « toujours en cours de discussion et peut faire l’objet de débat dans les prochaines étapes » a tenu a précisé le ministre de la Justice le jeudi 8 juin, au micro de la Snrt news. Le travail d’intérêt général fait partie des peines alternatives phares retenue dans la version finale du projet de loi. Celui-ci consiste en un travail que la personne condamnée, âgée d’au moins 15 ans au moment du verdict, doit effectuer gratuitement et pendant une durée fixée par le juge, au sein d’une structure agissant dans l’intérêt collectif.

Il s’agit notamment des institutions caritatives, des lieux de culte ou encore des associations et des organisations non gouvernementales oeuvrant pour l’intérêt général. La durée globale des travaux varie entre 40 et 1 000 heures selon la décision du magistrat, à raison de deux heures par jour, l’équivalent d’un jour d’emprisonnement. Le condamné se doit d’écouler ses heures de travail au bout d’un an, qui pourra être renouvelé par le juge, peut-on lire du projet de loi. Aux côtés du travail d’intérêt général on retrouve aussi la surveillance électronique et la restriction de certains droits. Des mesures attrayantes mais dont l’efficacité « dépend de leur mise en oeuvre adéquate, de la disponibilité de ressources et de programmes de formation appropriés, ainsi que de l’investissement du condamné dans le processus de réhabilitation », précise un avocat contacté par nos soins.

Celui-ci souligne par ailleurs qu’Il ne s’agit donc d’un moyen d’échapper à la justice pénale comme certains de ses détracteurs le prétendent, mais plutôt d’ « une vraie peine qui sanctionne un comportement social réprouvé en affirmant la volonté de ne pas exclure le condamné de la communauté », ajoutant que ce qui distingue les peines alternatives est leur non inscription dans le casier judiciaire du prévenu permettant une réhabilitation sociale en douceur. Ces peines doivent ainsi être hissées au rang de vraies peines dans l’imaginaire collectif mais aussi dans l’esprit des acteurs juridiques qui ont une grande marge de manoeuvre quant au prononcé de ces peines.

Pouvoir discrétionnaire
Ce pouvoir discrétionnaire accordé aux juges dans le prononcé de ces peines alternatives suscite des débats. « Ça saute aux yeux après une première lecture et ça inquiète », nous confie un avocat qui a requis l’anonymat. « Il doit y avoir des limites et des conditions précises au prononcé des peines alternatives afin de trouver un équilibre entre l’intérêt du prévenu et celui de la société », enchaîne-t-il. Le pouvoir discrétionnaire des juges, bien qu’il leur confère une certaine latitude pour tenir compte des circonstances individuelles des prévenus et personnaliser les sanctions, soulève des questions quant à son application et à son impact sur l’égalité devant la loi.

Dans ce sens, certains acteurs juridiques plaident pour la limitation du pouvoir discrétionnaire des juges en définissant notamment des critères précis pour l’application des peines alternatives, « basés sur des facteurs légalement pertinents tels que la gravité de l’infraction, les antécédents criminels, les circonstances personnelles de l’accusé et sa capacité à se réinsérer ». Cela offre une orientation claire aux juges et favorise une application plus uniforme des peines alternatives. La formation des juges est également préconisée dans le cadre de la limitation du pouvoir discrétionnaire des juges afin de réduire l’arbitraire dans les décisions judiciaires.

Notons que parmi les craintes des acteurs juridiques contactés quant au pouvoir discrétionnaire des juges, on relève la suprématie de la peine d’emprisonnement et l’écartement des peines alternatives par commodité. En effet, l’application des peines alternatives demande un effort de la part des magistrats qui doivent faire une enquête sociale pour pouvoir personnaliser la sanction. Dans un contexte où ces derniers sont débordés, certains avocats craignent que l’emprisonnement garde son caractère référentiel. Par ailleurs, même si les peines alternatives remplacent l’incarcération, force est de constater que leur lien avec la peine privative de liberté ne disparait pas totalement.

Celle-ci apparaît comme une alternative à l’alternative dans le sens où le projet de loi prévoit que si l’application des peines alternatives n’est pas respectée, le magistrat peut condamner l’individu à purger le reste de sa peine en prison. Cette dernière revêt donc une fonction dissuasive, permettant de favoriser l’exécution de la peine alternative. La peine d’emprisonnement demeure ainsi la référence en matière de sanctions pénales et pour percevoir les peines alternatives « comme de véritables alternatives à l’emprisonnement, il est important de les élever enlever au rang de peines principales », nous explique-t-on. Il serait également intéressant de voir dans quelle mesure les prévenus sont prêts à accepter les peines alternatives et à les respecter. Pour certaines personnes défavorisées choisir entre travailler gratuitement et flâner en prison pourrait être dur, en raison des conditions de vie que la prison pourrait leur offrir comparé à leur mode de vie habituel.

Articles similaires