Entretien avec Hassan El Jaï, comédien et metteur en scène

Hassan El Jaï : "Je suis profondément choqué par le silence des artistes marocains sur la guerre sur Gaza"

Alors que la guerre continue de ravager Gaza, Hassan El Jaï lance la tournée «Hommage aux poètes palestiniens», un appel à célébrer la résilience et la richesse de la poésie palestinienne à travers un mélange de lectures dramatiques en trois langues et de musique live. Une initiative culturelle, dont les recettes seront intégralement dédiées à la reconstruction de Gaza.


La tournée «Hommage aux poètes palestiniens» se déroule dans un contexte de tension et de tragédie à Gaza. Qu’est-ce qui vous a inspiré à dédier cette tournée aux poètes palestiniens?
Je me suis engagé à rendre hommage aux poètes palestiniens et au peuple palestinien plus généralement car leur voix doit être entendue, surtout dans ces temps troublés où la brutalité que subissent nos frères palestiniens crée des vagues de choc à travers le monde. Les images de cette violence, souvent diffusées par les médias israéliens euxmêmes, visent à exposer l’ampleur de la tragédie en cours, mais elles ont aussi un effet traumatisant à une échelle mondiale.

C’est dans ce contexte d’horreur que la poésie palestinienne, profonde et vibrante, prend tout son sens. La poésie a toujours été pour les Palestiniens un moyen d’expression essentiel, une façon de déclamer et de chanter ce qui leur est le plus cher. Face à l’oppression, à la peur et à la perte, leurs mots résonnent avec une force particulière. Ils parlent de leur amour pour leur terre, de leurs rêves brisés, mais aussi de leur indéfectible espoir et de leur incroyable résilience. Dans chaque vers, malgré le chaos, ils célèbrent la beauté de la vie et la puissance de l’espoir. Leur capacité à trouver de la lumière dans les ténèbres est une source d’inspiration.

Quelles oeuvres avez-vous choisies pour cette tournée et pourquoi?
Nous avons choisi de centrer notre représentation autour de l’oeuvre de Mahmoud Darwich, considéré comme le doyen des poètes palestiniens. La poésie de Darwich, avec sa gamme étendue qui va de la prose évocatrice aux vers rythmés, nous plonge dans une richesse historique et politique sans pareil. À travers ses mots, c’est toute l’Histoire d’une nation marquée par la lutte et l’espoir, la perte et la beauté qui se dévoile. En parallèle, nous donnons également la parole à des voix plus jeunes, comme celle de Nasser Rabah qui représente un pont entre les générations.

Ces jeunes poètes, qui habitent majoritairement à Gaza et dont il y a certains qui sont dans les prisons israéliennes, portent en eux la flamme de la résistance et de la réflexion. Parmi ces voix, nous aurons aussi l’honneur de lire le dernier poème de Refaat Alareer, tragiquement ciblé par des tirs alors qu’il enseignait. Ces textes, chacun à leur manière, donnent un aperçu profond de l’âme palestinienne, vibrant malgré l’adversité incessante. Ils capturent l’essence de l’esprit humain confronté à l’injustice, la violence, mais aussi sa capacité incroyable à espérer, à rêver et à persévérer.

En tant qu’artiste, quel rôle attribuez- vous à l’art et au théâtre dans les mouvements de solidarité et de sensibilisation à des causes comme celle de la Palestine?
L’art, dans toutes ses formes, joue un rôle indispensable en matière de sensibilisation et de solidarité, particulièrement lorsqu’il s’agit de causes aussi poignantes que celle de la Palestine. À travers l’histoire, chaque grande civilisation a laissé son empreinte à travers les oeuvres de ses artistes, poètes, architectes et scientifiques. Au Maroc, notre héritage culturel et spirituel, ancré dans les principes de l’islam qui célèbre la grandeur et la beauté, nous offre une toile riche pour l’expression artistique. Le soufisme, par exemple, ne se contente pas d’être une quête mystique; il est aussi un engagement envers la vérité et la justice, incarné historiquement par des figures qui étaient à la fois mystiques et guerrières défendant ardemment leurs valeurs.

Les artistes marocains ont-ils été au rendez-vous, selon vous?
Je suis profondément choqué par le silence des artistes marocains sur la guerre sur Gaza, surtout quand je vois les réactions d’artistes américains, européens, qui ne sont même pas musulmans mais sont humains avant tout autre chose. Tout le monde voit les centaines de vidéos partagées quotidiennement où les valeurs humaines sont bafouées sans cesse, y compris les artistes. Ainsi, l’art ne peut se permettre de rester à l’écart. Nous, en tant que Oumma, portons une responsabilité lourde. Il est de notre devoir de lever la voix, de résonner plus fort que jamais. L’art possède un pouvoir immense: il éduque, sensibilise et mobilise. Il est un catalyseur puissant de changement et de solidarité. Face aux injustices criantes, se taire équivaut presque à les approuver.

Par ailleurs, nous les Marocains, nous avons toujours été des résistants, jaloux de notre indépendance. L’Histoire le prouve, nous avons toujours lutté pour la liberté. Il est impératif alors aujourd’hui que nous, artistes, écrivains, poètes et créateurs, utilisions nos talents et nos plateformes pour parler, pour protester, pour raconter les histoires de ceux qui ne peuvent pas le faire eux-mêmes. En faisant résonner ces vérités à travers l’art, nous ne faisons pas seulement preuve de solidarité; nous participons activement à la lutte pour un monde plus juste. Voilà le rôle de l’art et des artistes dans les mouvements de solidarité: être la voix de ceux qui n’en ont pas et allumer les flambeaux de la conscience dans les ténèbres de l’indifférence. C’est ce que nous voulons pour cette tournée, qu’elle pousse au moins les artistes marocains à parler.

Quid de l’impact que vous espérez avoir sur les spectateurs marocains avec ce spectacle?
L’impact que nous espérons avoir sur les spectateurs marocains va bien au-delà de la simple représentation théâtrale. Mon amour pour la Palestine et mon engagement envers cette cause se manifestent pleinement, car je n’accepte aucun cachet pour ces performances. Je suis conscient que beaucoup de nos spectateurs arrivent avec un sentiment de lassitude et portent le poids d’une impuissance face à ces évènements tragiques qui nous touchent profondément. Notre premier objectif avec ce spectacle est de créer un espace où les gens peuvent se rassembler, se soutenir mutuellement autour de cette cause qui nous est chère.

Nous voulons offrir un moment pour libérer l’amertume accumulée, un lieu où la communauté peut exprimer ses émotions, partager ses peines mais aussi ses espoirs. Ce rassemblement autour de l’art permet aux spectateurs de renouer avec leur foi et leurs convictions, de pleurer ensemble les tragédies vécues par nos frères et soeurs en Palestine, et de repartir spirituellement allégés. Nous cherchons à transformer le sentiment d’impuissance en une force collective, en un mouvement de solidarité qui transcende les frontières.

Cette tournée soutient l’association Solidarité Maroc-Palestine. Comment envisagez-vous le rôle des arts dans le soutien aux causes humanitaires et politiques?
Chaque dirham récolté va être directement versé pour un fond spécial dédié à la reconstruction de Gaza. Je crois profondément que l’art a ce pouvoir unique de toucher les gens au-delà des mots, en transcendant les barrières linguistiques, culturelles et même spirituelles. Quand les arts parlent, ils peuvent atteindre directement les coeurs, éveiller les esprits et provoquer une empathie profonde, ce qui est souvent le premier pas vers l’action humanitaire et politique.

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