Zakaria Garti: "Les freins au vote des Marocains aux élections 2021 existent toujours"

Entretien avec Zakaria Garti, co-fondateur du mouvement Maan

Pour Zakaria Garti, le faible engouement des Marocains pour les échéances électorales est toujours d’actualité. Les obstacles à la participation des jeunes aux élections sont les mêmes que pour les femmes, les moins jeunes et les personnes âgées.

Le débat organisé par TIZI samedi 6 mars 2021 auquel vous avez participé, était focalisé sur la désaffection des Marocains vis-àvis de la chose politique et des élections. Le constat à l’unanimité était qu’il y a un intérêt faible pour une participation aux élections. Qu’en dites-vous?
L’intérêt des Marocains pour la chose politique doit être analysé sous deux angles: l’intérêt pour le débat politique et le second est le vote. Force est de constater que les Marocains participent au débat politique. Ils sont même, de manière générale, à l’origine de ce débat et les partis politiques ou le gouvernement réagissent aux discussions politiques des Marocains.

On l’a constaté, à titre d’exemple, par rapport au projet de loi 22.20 relatif à l’utilisation des réseaux sociaux, des réseaux de diffusion et réseaux similaires, qu’on appelait la «loi du musèlement des voix». Sur les réseaux sociaux, les Marocains se sont emparés de ce débat quand ce projet avait fuité. Du coup, le gouvernement était sur la défensive et a dû réagir en conséquence. D’ailleurs, ce projet de loi a montré que les élus politiques ne connaissent pas très bien les Marocains. Il y a beaucoup de choses qui se passent dans le conscient et le subconscient des Marocains que ni les partis politiques ni l’Etat ne sont en mesure de comprendre. Toutes les instances réagissent mais n’anticipent pas. Cela montre aussi que les Marocains aspirent à l’égalité et à la liberté.

Alexis de Tocqueville, un des plus grands philosophes français, avait parlé de l’égalité des conditions comme un préalable aux revendications démocratiques. Les Marocains se sont électroniquement soulevés pour que cette loi soit retirée. Pour ce qui est de l’engagement des Marocains par rapport au vote, il est encore faible et on peut s’en rendre compte au vu du taux de participation dans les élections précédentes.

Je n’aime pas distinguer les jeunes des autres couches de la population par rapport à ce débat car les obstacles à la participation des jeunes aux élections sont les mêmes que pour les femmes, les moins jeunes et les personnes âgées.

Ce constat est-il toujours valable à l’aube des élections 2021?
Bien sûr, ce constat est toujours valable et il n’y a pas de raisons pour que les Marocains participent massivement aux élections de 2021 parce que les freins existent toujours. D’abord, beaucoup de Marocains croient que la démocratie représentative a un pouvoir très limité, que les décisions les plus importantes pour le pays sont prises en dehors de la sphère représentative ou de la sphère gouvernementale et que les élites politiques, qui sont le produit de la démocratie participative, sont peu importantes dans la prise de décision stratégique du pays.

Je pense que cela est relativement vrai sachant que le Maroc a fait des pas très importants dans la démocratisation institutionnelle avec l’adoption de la Constitution de 2011, qui octroie de nouvelles prérogatives aux élites politiques, au gouvernement et au parlement et qui au demeurant est un texte assez avancé dans l’absolu et très avancé par rapport aux pays de la région. Ce qui est dommage, c’est que la pratique reste encore en deçà de la qualité du texte. Les élites politiques ne veulent pas exercer les prérogatives qui sont les leurs. Par ailleurs, la compréhension de beaucoup de gens de ce qu’est la démocratie n’est pas juste.

Quand les Anglais ont inventé la conception moderne de la démocratie, la démocratie n’était pas synonyme d’élections. La démocratie était d’abord synonyme de reddition des comptes. Et si nous avons une démocratie représentative dont les mécanismes d’élection sont relativement corrects, les mécanismes de reddition des comptes sont, en revanche, faibles.

Sur quoi vous basez-vous pour le dire?
Il suffit de voir tous les scandales et toutes les commissions d’enquête qui sont créées et dont le travail n’aboutit jamais. Dans une démocratie mâture, quand un rapport de la Cour des comptes révèle qu’un ministère a acheté des poubelles à 6.000 dirhams l’unité, cela devrait provoquer un débat national mais aussi la démission du gouvernement ou du moins du ministre en charge et une dizaine de questions parlementaires.

Le problème sur les réseaux sociaux, c’est que les Marocains ont une culture de l’instantanéité, du statut et de la réaction. On réagit et on passe à autre chose. Alors qu’une réaction qui ne se transforme pas en actions et en suivi ne vaut rien. C’est aussi une des défaillances de la compréhension de la démocratie chez beaucoup de gens. Aussi, il y a un phénomène qui est arrivé un peu trop tôt au Maroc, c’est l’individualisme.L’individualisme est le résultat de cette égalité des conditions grâce à laquelle l’individu peut se suffire à lui-même.

De quoi se nourrit la défiance par rapport à la chose politique?
Cette défiance de la démocratie est mondiale parce qu’elle est aussi liée aux difficultés de la classe moyenne. Ceux qui défendent la démocratie défendent la classe moyenne. Et ceux qui tuent la classe moyenne sont les mêmes qui menacent la démocratie. Il faut souligner un autre point, on a un séparatisme social, c’est-à-dire que les élites vivent dans une rive et le peuple dans l’autre rive. C’est l’héritage d’un système éducatif non-unifié. On n’a pas été tous à la même école, on ne parle pas la même langue, on n’a pas les mêmes références et la même culture. Au Maroc, nous avons confié la formation de nos élites à des pays étrangers.

Une large frange de Marocains se laisse persuader que voter ne sert à rien. Qu’en pensez-vous?
Des gens ont milité pour la Constitution de 2011. C’est bien. Mais il faut militer pour que cette constitution soit appliquée, pour qu’elle soit implémentée correctement et pour que ses dispositions soient effectives. Pour certaines gens, au moment où le texte a été adopté, le combat était terminé. Il y a quelque chose qui va encore ringardiser l’action politique, c’est le quotient électoral. Un des fondements de la démocratie, c’est la proportionnalité entre le nombre de voix et le nombre de sièges. Avec ce système de quotient électoral, on va renforcer l’éparpillement des voix. Ce n’est pas normal.

Quelle a été votre appréciation de la réaction du PJD à ce propos?
La réaction du PJD est normale mais elle est tardive parce que ce parti considère que ce quotient électoral est un attentat à la démocratie. Le PJD a passé 10 ans au pouvoir sans pour autant faire grand-chose pour renforcer les mécanismes de reddition des comptes. La démocratie ne peut prospérer qu’avec une classe moyenne forte. Alors le PJD n’a pas soutenu cette classe moyenne. Venir aujourd’hui s’apitoyer sur son sort parce que le quotient électoral le dessert, techniquement il a raison, mais dans l’absolu il a tort. Il ne peut donc pas compter sur le soutien de l’opinion publique sur une chose trop technique. On peut compter sur le soutien de l’opinion publique sur des choses simples qui lui parlent.

Est-ce que vous ne pensez pas que le bilan du PJD a contribué à cette désaffection par rapport aux élections et à la chose politique?
Le bilan du PJD est relativement moyen sur beaucoup d’aspects. Mais c’est le bilan de toute la classe politique. Il aurait fallu laisser les citoyens marocains renvoyer le PJD par les urnes mais vouloir changer les règles du jeu ne va profiter qu’au camp des absentéistes et des nihilistes, qui deviendront plus nombreux. Il n’est dans l’intérêt de personne d’affaiblir la classe politique. Le quotient électoral affaiblira certes le PJD mais décrédibilisera la vie politique.

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