Produite et diffusée par le studio créatif “Jawjab” à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la websérie #TaAnaMeToo a fait grand bruit sur les réseaux sociaux en donnant la parole à quatre femmes victimes de viol. La journaliste Zaïnab Aboulfaraj, qui a recueilli les témoignages de ces femmes, nous en parle.
De nombreux internautes ont été bouleversés par les témoignages que vous avez recueillis pour la websérie #TaAnaMeToo de femmes ayant été victimes de viol. Cela a-t-il été facile de les faire parler?
Pas du tout, comme vous pouvez l’imaginer. Malheureusement au Maroc, les victimes de viol sont souvent montrées du doigt, voire même accusées d’être elles-mêmes responsables de leur viol, ce qui fait qu’en général l’omerta règne.
C’était votre idée au départ, la websérie?
Non. En fait tout est parti du mouvement Masaktach, qui, si vous vous en souvenez, avait fait jaser sur les réseaux sociaux en 2020. Il y avait notamment eu de nombreux témoignages de femmes victimes de viol, mais c’était de l’écrit. À ce moment, Youssef Ziraoui, qui coproduit la websérie pour le compte de “Jawjab”, m’avait confié la tâche de trouver quatre femmes représentant chacune un des cas typiques de viol que l’on trouve au Maroc, à savoir le viol conjugal, l’inceste, le viol sur le lieu de travail et le viol que subissent de nombreuses prostituées de la part de leurs clients, avec ceci de différent que là on entendrait les victimes parler de vive voix.
Et vous vous êtes débrouillés comment, au final?
Comme je vous l’ai dit, la tâche n’a pas été aisée. C’est finalement grâce à une association basée à Casablanca, qui vient notamment en aide aux femmes victimes de viol, que j’ai pu être présentée aux femmes dont on voit le récit dans la websérie. Je leur ai bien expliqué ma démarche, comme quoi l’objectif c’était de faire cesser la culture du viol qui prédomine au sein de notre société, qu’il faut que la honte change de camp. Et franchement, elles ont été courageuses de se prêter au jeu. Je tiens ici à signaler le travail graphique des talentueux Meryem Aït Aghnia, Ossama Abbassi, Nass Reda-Fathmi et Zaïnab Fassiki pour restituer en dessins leurs histoires.
Quel regard portent les femmes dont vous avez recueilli les témoignages sur la société marocaine?
Je dirais qu’elles sont désabusées. Elles sont désabusées vis-à-vis d’une société qui, pour elles, n’a rien fait pour les aider et qui continue encore aujourd’hui de les ignorer.
Comment vous y êtes-vous prise pour garder votre distance “professionnelle”, si l’on peut dire, pendant votre travail?
Ce n’était pas vraiment facile, pour vous dire la vérité. Ce que vous devez savoir, c’est que si chaque épisode de la websérie dure environ 1min30, à l’origine, les rushs, c’est-à-dire les audios bruts, durent généralement une trentaine de minutes. On n’en sort pas totalement indemne.
#TaAnaMeToo, c’est aussi une référence au mouvement #MeToo, qui a notamment fait tomber le producteur Harvey Weinstein aux États-Unis. Un #TaAna est-il selon vous possible un jour au Maroc?
Je l’espère de tout coeur. Cela permettra de mettre fin à l’impunité dont, hélas, beaucoup se prévalent en dépit de leurs crimes.