Avocate au barreau de Casablanca, députée et membre du bureau politique du parti du Rassemblement National des Indépendants (RNI), Me Zaïna Chahim fait partie des membres de la Commission des finances à la Chambre des représentants qui ont entamé la discussion du projet de loi de finances 2023, véritable test du gouvernement Akhannouch dans une conjoncture difficile et imprévisible.
Dans quelle mesure les dispositions du projet de loi de finances (PLF) 2023 peuvent-elles répondre à l’urgence d’une relance économique?
Parmi les mesures du PLF 2023, deux grandes dispositions permettront de soutenir la relance économique. D’abord, la baisse significative de l’Impôt sur les sociétés (IS) réalisant un bénéfice inférieur à 100 millions de dirhams, qui ne peut qu’encourager de nombreuses entreprises à investir et à embaucher. Ensuite, il y a la poursuite de la dynamique de l’investissement public, avec un montant de 300 milliards (dont 45 milliards pour le Fonds Mohammed VI) contre 245 milliards pour le budget de l’année dernière, soit une hausse considérable de 22,4%.
On peut rajouter à cela la baisse de l’Impôt sur le revenu (IR) quand bien même on estime qu’elle n’est pas suffisante. On voudrait pousser le gouvernement à une baisse plus importante car cette dernière peut stimuler la consommation des ménages, la demande intérieure en général et la mobilisation de l’épargne. Ces trois points peuvent être des leviers d’une relance économique réelle.
Ces efforts s’accordent avec les orientations du rapport général sur le Nouveau modèle de développement (NMD). Maintenant, le travail du gouvernement consiste à orienter ces investissements dans des projets structurants et donner la priorité aux projets de production, créateurs de richesse et de postes d’emploi.
Va-t-on enfin donner naissance au Fonds Mohammed VI pour l’investissement?
Le Fonds est, légalement, déjà mis en place. La nomination par S.M le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, de Mohamed Benchaâboun à la tête du Fonds Mohammed VI est le signal effectif de l’activation opérationnelle du fonds. Doté initialement de 45 milliards de dirhams, ce Fonds sera chargé de contribuer au financement et à l’accompagnement des projets d’investissements prioritaires. Le premier investissement stratégique est déjà lancé. Il s’agit de l’usine de Benslimane, qui sera livrée mi-novembre 2022, et qui produira des vaccins aussi bien pour le marché national que continental dès début 2023.
A-t-on fait rupture avec une exception devenue la règle depuis deux ans, en l’occurrence le solde ordinaire négatif?
Le redressement exceptionnel des recettes, particulièrement fiscales, en 2022 (reflétant le bon rattrapage de 2021) -malgré l’alourdissement des charges dû au dérapage de la Caisse de compensation-, a fait qu’en 2022, le solde ordinaire repasse au vert. Un solde ordinaire positif traduit la capacité de l’État à générer de l’épargne publique qui servira par la suite soit à financer les investissements ou à réduire le déficit budgétaire.
L’économie marocaine a été sévèrement touchée durant la période du covid-19 (2020-2021). Les recettes ont naturellement baissé et face à des dépenses incompressibles et une volonté du gouvernement à maintenir une politique expansionniste pour soutenir l’économie, le solde ordinaire s’est détérioré pour atterrir en territoire négatif et ce, pour la première fois depuis 2014.
Les prévisions pour l’année 2023 tablent sur un solde ordinaire positif important de 21,2 milliards, permettant de financer 23% des investissements prévus par le budget de l’État.
Quelles sont les hypothèses sur lesquelles table le gouvernement en 2023?
Les grandes lignes sont une croissance à 4%, un déficit budgétaire à 4,5% (65,7 milliards) et une inflation à 2%. Pour ce faire, le gouvernement s’est basé sur les hypothèses suivantes: une récolte céréalière moyenne à 75 millions de quintaux, un cours moyen du gaz butane à 700 dollars/tonne, un cours moyen du baril du Brent à 98,6 dollars et un taux de change dollar/dirham à 9,8. Ces niveaux prévisionnels de prix et de taux sont proches des niveaux des marchés actuels. Ainsi, ces hypothèses semblent intégrer les aléas du contexte difficile présent.
Le volet social est-il présent en force dans le projet de loi de finances?
En effet, le volet social est présent à travers plusieurs mesures: L’exonération des droits d’importation pour certains médicaments et produits pharmaceutiques, la mise en place du Registre social unifié (RSU) permettant un ciblage plus juste, la poursuite du chantier de la généralisation de la protection sociale, des aides directs aux acquéreurs de logements sociaux, 26 milliards de dirhams pour préserver le pouvoir d’achat des Marocaines et Marocains, 9,5 milliards pour intégrer plus de 4 millions de Ramedistes dans le régime AMO, 4,6 milliards additionnels pour la mise à niveau des structures de la santé publique. Mais également 2 milliards pour la généralisation du préscolaire, 1,8 milliard pour augmenter le nombre de bénéficiaires des cantines scolaires et des internats et 4 milliards pour les augmentations des salaires dans la santé publique et l’enseignement fondamental et supérieur.
Il faut souligner que le gouvernement a présenté un projet audacieux car il continue d’instaurer l’État social avec plusieurs mesures conjoncturelles tout en lançant une réforme fiscale.
Qu’en est-il de l’endettement? Y recourt-on et à quelle hauteur?
Le déficit budgétaire prévu pour l’année 2023 ressort à près de 66 milliards de dirhams, en baisse de 7 milliards par rapport à l’année 2022. Pour en arriver à ce niveau, beaucoup d’efforts, fiscaux et non fiscaux, ont été fournis. Ainsi, entre autres mesures, le gouvernement devrait mobiliser pas moins de 25 milliards à travers des mécanismes innovants, ce qui n’aura pas d’impact sur l’endettement du Trésor.
Pour le financement du déficit, il sera, probablement, entièrement financé à travers l’endettement à hauteur de 40% sur le marché extérieur et 60% sur le marché interne. Le Trésor devrait mobiliser sur le marché extérieur autour de 37 milliards de dirhams en 2023, contre 40 milliards en 2022.
Ainsi, l’endettement du Trésor devrait passer à 69,3% du PIB en 2023. Certes, ce niveau paraît élevé pour un pays émergent, mais, ce qui compte, c’est plutôt la soutenabilité de la dette et, au jour d’aujourd’hui, toutes les études montrent que la dynamique de la dette du Trésor reste maîtrisée. D’ailleurs, le rapport économique et financier accompagnant le PLF 2023 consacre tout un chapitre à ce sujet.
Ce PLF est le véritable premier test du gouvernement Akhannouch. D’après votre première lecture, lui permettrait-il de sortir de l’impasse actuelle et de maintenir à un niveau tenable le pouvoir d’achat des Marocains?
Le gouvernement de M. Akhannouch a déjà fait ses preuves et a montré sa volonté de soutenir l’économie nationale et préserver le pouvoir d’achat des Marocains. Le fait de ne pas faire des coupes sur le budget des investissements (ce n’était même pas une option) comme l’a fait l’ancien gouvernement, malgré la hausse importante des charges, montre que ce gouvernement priorise la croissance et le futur des Marocaines et des Marocains.
Concernant le pouvoir d’achat, la meilleure preuve est la multiplication par 2,4 du budget de la compensation afin de garder les prix des produits de première nécessité stables et soutenables et ne pas éroder le pouvoir d’achat des citoyennes et des citoyens.
Que ce soit dans le PLF 2023 ou en dehors de ce Budget général, que prévoit le gouvernement pour dynamiser le marché de l’emploi?
Plus de 28.000 postes budgétaires seront créés, d’après le projet de loi de finances 2023. Mais en sus de cela, il faut dire que le gouvernement a mis en œuvre plusieurs programmes, comme Awrach, qui a aidé à créer plus de 250.000 emplois, ou encore Forsa, qui porte déjà ses fruits compte tenu que le gouvernement a reçu plus de 12.000 demandes. Pour ce dernier programme, on peut dire qu’il démarre très bien.
En outre, tous les efforts se conjuguent pour la création de plus d’opportunités d’emplois, profitant de la dynamique économique qui s’installe graduellement.
Etant membre de la commission des Finances à la Chambre des représentants, vous avez entamé la discussion du PLF 2023. Quelle impression se dégage d’une première lecture de ce projet?
La discussion entre les membres de la commission a commencé mercredi 26 octobre. Avant cela, nous avons relevé cette audace du gouvernement de mener une réforme fiscale tout en instaurant l’État social en dépit de la difficile conjoncture, ce qui traduit la volonté de l’Exécutif d’honorer ses engagements et de respecter son programme.