Younes Lazrak, le Marocain qui détecte le Covid-19 dans les eaux

RECHERCHE SCIENTIFIQUE

L’entrepreneur marocain Younes Lazrak a développé des tests de diagnostic qui permettent de détecter le Covid-19 dans les surfaces, l’air et les eaux d’égout. Sa société de biotechnologie collabore avec des administrations et entreprises privées françaises, et prévoit de déployer ses innovations dans d’autres pays européens et au Maroc.

Détecter le Covid-19 dans l’environnement, c’est ce que fait depuis mars 2020 la société C4Diagnostics, basée à Marseille. Pourtant le Marocain Younes Lazrak, le fondateur en 2017 de cette entreprise de biotechnologie qui, jusqu’à cette date, ne faisait que du diagnostic médical à travers des tests in vitro, était loin d’imaginer sa future adaptation. Une agilité accélérée par l’avènement du Covid-19. «Notre entreprise a été sollicitée par le Bataillon des Marins pompiers de Marseille, qui est une unité de la Marine nationale, pour mettre à leur disposition des solutions pour détecter le virus dans l’environnement», nous explique Younes Lazrak.

Les Marins pompiers marseillais ont fait appel aux services de C4Diagnostics après avoir constaté que certaines personnes qui entraient dans des casernes en ressortaient malades. Top départ pour une nouvelle expérience. Les surfaces, poignées de portes, claviers d’ordinateurs, machines à café, etc., sont passés au peigne fin pour y traquer le célèbre virus «On a remarqué que ces objets étaient très contaminés dans certains cas. Par la suite, nous avons fait des prélèvements avec un écouvillon grâce à des techniques spécifiques pour détecter les traces du virus dans leurs différentes infrastructures. Un travail qui est opérationnel depuis avril 2020», précise-t-il.

Plus de 20.000 échantillons testés
Après les tests sur les surfaces, Lazrak et ses collègues se lancent dans un nouveau challenge, détecter le Covid dans l’air ambiant. Pour ce faire, ils réalisent des campagnes de tests sur plusieurs sites, notamment les cantines, où les gens enlèvent leurs masques pour manger. «On s’est aperçus qu’il était assez rare de trouver des virus dans l’air», constate-t-il. Des résultats peu probants qui poussent ces scientifiques à quitter les airs, pour revenir sur terre. Précisément, dans les eaux d’égout. «Nous l’avons expérimenté durant l’été 2020, après avoir lu les premières publications qui s’intéressaient à la dynamique du virus dans les eaux usées», confie ce diplômé en biologie-biochimie. Des tests ont ainsi été effectués avec les Marins pompiers, «qui ont par la suite réalisé une cartographie de la ville de Marseille, à partir du collecteur central, pour analyser le virus et faire un suivi».

Une stratégie qui a porté ses fruits. «Notre staff et celui des Marins pompiers avaient d’ailleurs informé les autorités locales sur les risques de contamination, une semaine avant l’explosion des cas», se réjouit-il. C4Diagnostics a par la suite ciblé plus de 78 maisons de retraite, pour y réaliser des tests hebdomadaires, pour éviter l’apparition de clusters chez cette population très vulnérable. «On a pu détecter le SARS-CoV-2 dans les eaux d’égout dès lors qu’il y avait la présence d’une unique personne sur cent porteuse du virus sur un site, même si cette dernière était asymptomatique».

“La solution pour gagner du temps”
Ces innovations de la société de biotechnologie réalisées dans la ville phocéenne ont séduit plusieurs administrations et entreprises privées françaises. Et pas des moindres. «Nous avons testé deux ministères régaliens, le porte-avions nucléaire français Charles De Gaulle. On a collaboré aussi avec des sociétés privées, comme Dassault Systèmes, pour laquelle on a mené des tests rapides aériens dans leurs cantines, avant le repas de midi», précise Lazrak, qui nous révèle aussi des collaborations avec la ville de Pau (sud-ouest de la France), l’agglomération du Pays de l’Or, et le déploiement de leurs services «sous peu» dans l’ouest, le sud, et le nord-est de la France. «Nous formons aussi des personnels de laboratoires basés dans certaines villes avec lesquels nous collaborons, en leur fournissant la solution pour gagner du temps». Au total, la société déclare avoir testé plus de 20.000 échantillons dans ses laboratoires depuis mars 2020.

Galvanisée par le succès de ses différents tests, l’ancienne start-up voit grand. Son nouveau défi, proposer des tests de diagnostic rapides du fameux virus à partir de la salive. «Nous avons développé un test de diagnostic de la Covid-19 pour un usage médical, chez l’Homme, en partenariat avec l’Institut Pasteur, à travers une petite machine portable, qui permet d’avoir un test avec une sensibilité équivalente à la PCR, en 20 ou 30 minutes. Les essais cliniques sont en cours et on espère mettre le produit sur le marché à partir du 31 mars», nous confie ce titulaire de master en gestion de l’innovation et gestion industrielle.

Un test de diagnostic salivaire
Parallèlement, l’entreprise développe des tests sur la légionellose, une maladie infectieuse respiratoire avec des symptômes très proches du Covid, causée par une bactérie. Son activité originelle. Elle a d’ailleurs réalisé deux levées de fonds en 2018 et 2020, pour accélérer le développement de ces services. «Nous avons effectué une première levée de fonds en 2018 pour développer nos propres tests sur la légionellose, tandis que la seconde visait à accompagner son lancement, son déploiement commercial, et le développement de deux prochains produits sur les infections urinaires et les antibiogrammes, qui permettent de mieux traiter les infections dues aux bactéries multi-résistantes», indique Lazrak.

Pour développer ces tests, son entreprise a pu obtenir les licences d’exploitation de six brevets, dont quatre brevets développés par l’Université d’Aix-Marseille et le Centre national de recherche scientifique (CNRS), et deux appartenant exclusivement au CNRS «qui couvrent notre technologie exclusive sur les infections bactériennes et champignons pathogènes». Ces différents services ont permis à l’entreprise marseillaise, qui est passé de 14 à 34 salariés entre 2019 et 2021, de réaliser un chiffre d’affaires de près de 2,5 millions d’euros 2020.

Une technologie exclusive
«Beaucoup de nos salariés sont des actionnaires de la société. Ils sont le moteur du succès de C4Diagnostics et je leur rends vivement hommage», reconnait leur top manager, établi en France depuis 1995. La société a même noué des partenariats en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Suisse, et en Irlande. Ce marocain de 42 ans, né à Meknès et qui a grandi à Rabat, a très tôt eu une passion pour la recherche scientifique appliquée.

«J’ai toujours voulu, depuis le lycée, faire un doctorat en science appliquée et déployer mes produits sur le marché. J’ai pendant longtemps travaillé dans le transfert de technologies avec des entreprises, avant de lancer ma startup en 2017», confirme Lazrak. Son souhait le plus ardent, collaborer avec son pays pour contribuer à la lutte contre le Covid-19.

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