Il y a à peu près trois ans, dans son programme d’investiture, le gouvernement avait promis monts et merveilles : créer 1 million d’emplois en 5 ans, réduire les disparités sociales et territoriales, garantir un ‘’revenu de dignité’’ pour les personnes âgées… Dans son discours au Parlement le 11 octobre 2021, Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, a dit que la crise du Covid-19 a mis en évidence l’ampleur de l’économie informelle, les carences des secteurs sociaux et la faiblesse des filets de sécurité sociale. Au début de la 2ème moitié de son mandat, la situation économique et sociale du pays n’est pas reluisante.
L’informel est plus que jamais dominant. Le chômage atteint un niveau record. La croissance économique est molle et bancale. La vie devient de plus en plus chère. De quel Etat social parle-t-on ? L’assurance maladie obligatoire pour tous, peutêtre ? Pourtant, c’est une initiative royale que le gouvernement a mise sur les rails. Ce filet social, pour important qu’il soit, ne peut pas supporter le poids de la cherté de la vie, surtout quand les salaires misérables de la majorité stagnent face à la hausse générale et continue des prix.
Les gens du peuple ont cette impression que l’effet boule de neige engendré par la hausse frénétique des prix des produits alimentaires essentiels et du transport échappe au contrôle de l’Etat. En l’absence d’une autorité imposant une limite et des explications de toute hausse des prix, tout le monde suce le sang de tout le monde. Chacun justifie l’augmentation de ses prix par la hausse inexpliquée des prix des intrants ou des produits et services qu’il consomme. Cela va d’un simple pain rond aux grains de lin aux fournitures scolaires, en passant par les fruits et les viandes...
L’écrasante majorité des Marocains est composée de petites gens et de la classe moyenne. L’une comme l’autre catégorie sociale souffre aujourd’hui le martyr, à des degrés différents certes. Le gouvernement fait la sourde oreille ou presque. Au Parlement ou au rituel point de presse suivant le Conseil de gouvernement de jeudi, l’Exécutif dit être conscient de cet état de faits. Il se justifie et expose les actions en cours pour contrecarrer le phénomène. Puis, le lendemain, les prix de la tomate et des oignons baissent au même moment où, comme par hasard, sans crier gare, tous les autres prix montent en flèche. Les Marocains sont un peuple très patriotique. Ils vénèrent leur pays et adorent leur monarchie. Les Marocains sont patients et consciencieux. Ils ne sacrifieront jamais la paix sociale même quand cela va mal. Au point de se demander si le gouvernement actuel les mérite-t-il vraiment ?
Il faut tirer des enseignements de l’Histoire. Les émeutes de juin 1981 à Casablanca sont restées ancrées dans l’imaginaire de plusieurs générations de Marocains. A l’époque, les subventions des produits de première nécessité ont connu une nette baisse. Un constat aggravé par une sécheresse persistante (de 1980 à 1984) et une inflation galopante. La compression des subventions obéissait aux directives contenues dans le programme d’ajustement structurel (PAS) dicté par la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI). On comprend bien alors que l’appellation « Les émeutes du pain » symbolisait un ras-le-bol général. Ces émeutes étaient donc la résultante de tensions socio-économiques.
Actuellement, les subventions budgétivores ont été en partie ou totalement supprimées (gaz et carburants) au profit du principe de « la liberté des prix », défendu bec et ongles par feu Moulay Abdallah Alaoui, ancien Président de la Fédération de l’énergie rattachée à la CGEM. Cette « liberté » a nourri une économie de marché où les oligarques font la pluie et le beau temps. Ce qui a naturellement conduit à une inflation insoutenable, réduisant à son passage comme une peau de chagrin le pouvoir d’achat de la plus grande frange de la population.
Heureusement, les mêmes symptômes de deux époques différentes (1981 et 2024) ne produisent pas les mêmes réactions. Du moins la stabilité qui règne sous nos cieux témoigne-t-elle qu’à une période d’inflation incontrôlée ne correspond pas forcément une période de troubles. Mais la patience a des limites.