Vivement le vaccin salutaire

CRISE SANITAIRE

Le virus est toujours là. Il ne partira pas de sitôt. Il faut apprendre à vivre avec et continuer à le combattre par le respect des mesures sanitaires. Mais surtout pas par un reconfinement qui sera fatal pour le pays sur les plans économique et social.

Le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, est formel: la récession de l’économie nationale devrait au minimum s’établir, courant 2020, à 6,3%. “Et cette dernière prévision reste marquée par un fort degré d’incertitude à cause de l’évolution de la pandémie et des mesures que les autorités pourraient prendre pour y faire face,” a-t-il tenu à ajouter. M. Jouahri, qui s’exprimait ainsi à l’occasion d’une conférence de presse qu’il a donnée le 22 septembre 2020 au siège de BAM à Rabat, limitait lui-même pourtant, en juin dernier, cette récession à 5,2%, taux déjà fort pessimiste en soi mais qui postulait le scénario d’une reprise en V dès lors que le confinement qui avait alors cours depuis le 20 mars sur l’ensemble du territoire national serait levé.

Dans son sillage, le gouvernement Saâd Eddine El Othmani retenait, dans son projet de loi des finances rectificative (PLFR) finalement avalisé par le parlement le 20 juillet, une hypothèse relativement proche numériquement de -5% de croissance, tandis que le ministre de l’Économie, des Finances et de la Réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun évoquait le 19 mai à la Chambre des conseillers le chiffre de -7% comme étant le pire qui pouvait advenir pour le Maroc et devant dépendre d’un concours de circonstances dont le moins que l’on puisse dire est qu’il serait tout-à-fait défavorable.

Mais à l’évidence, c’est bel et bien ce concours de circonstances qui, au fur et à mesure, a fini par se produire, et il n’y a pas loin, même, d’imaginer que le Royaume n’en est pas encore au bout de ses peines, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient d’indiquer le 4 septembre par la voix de sa porte-parole Margaret Harris qu’“il est peu probable de s’attendre à une vaccination généralisée [contre la pandémie de Covid-19] avant le milieu de l’année prochaine”: le président américain Donald Trump lui-même, qui y joue une partie de sa réélection le 3 novembre 2020 et espérait d’ici là avoir d’ores et déjà mis sur le marché un vaccin, avait finalement reconnu le 18 septembre que la deadline la plus optimiste est celle du mois d’avril.

Allures de plus en plus caricaturales
cet égard, il y a lieu de rappeler le caractère universel de la Covid-19, et que juste de l’autre côté du détroit de Gibraltar, plus précisément dans la zone euro, la décroissance est assurée d’enregistrer, sans autre issue possible désormais, un taux à deux chiffres -la croissance économique mondiale devrait elle attendre, selon les dernières prédictions du Fonds monétaire international (FMI), au maximum -4,9%, avec là aussi, comme en avertissait l’économiste en chef de l’institution de Bretton Woods, Gita Gopinath, à la publication de ces prédictions, “un degré élevé d’incertitude”. Il n’en reste pas moins que dans le cas d’espèce marocain en particulier, l’impression demeure que le décideur donne l’impression, par son excès de zèle prenant des allures de plus en plus caricaturales à mesure que le temps passe, que de soi-même l’on est en train actuellement de se tirer une balle dans le pied.

Car si les mesures prises au cours des premiers mois de pandémie, avec donc notamment la mise en place du confinement et, plus généralement, la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, ont été salutaires, au point de valoir au Maroc d’être salué de par le monde entier et d’être même considéré, eu égard à son statut de pays en voie de développement, comme un exemple, elles ont au final commencé, à la longue, à se retourner contre lui, sans qu’il y gagne, au surplus, vraiment au change. Il en va ainsi, d’abord, du degré de propagation de la Covid-19, qui dépasse régulièrement les 2.000 cas par jour -à exactement dix reprises- depuis le 11 août. Et Dieu seul sait s’il n’y pas plus de contaminations au sein de la population marocaine, car le nombre de tests effectués depuis le mois de mars -désormais 25.000 par jour en moyenne-, s’il demeure important au plan mondial et même le deuxième en Afrique seulement derrière le géant sud-africain, ne saura jamais véritablement suffire pour avoir une cartographie réelle de la situation sanitaire dans le pays.

Proportions fort inquiétantes
Le confinement draconien comme celui qu’a connu le Maroc quatre-vingt-seize jours durant au cours du printemps estil, partant, vraiment de nature à aider à circonscrire la pandémie? Car en même temps, comme on l’a vu, l’économie est en train d’être tuée à petit feu. Dans la ville de Casablanca notamment, où le gouvernement avait déclaré, à partir du 7 septembre, un deuxième confinement après qu’il fut constaté que la Covid-19 atteignait de nouveau des proportions fort inquiétantes, elles sont des milliers d’entreprises qui sont actuellement en risque de faillite et qui, d’ailleurs, devraient officiellement mettre la clé sous le paillasson dans les prochains mois, si ce n’est semaines seulement.

C’est le cas notamment des cafés et des commerces ou encore des restaurants, qui ont été nommément visées par la récente décision de l’Exécutif en ce sens que des horaires de fermeture stricts leur ont été imposés. Selon les estimations les plus récentes du cabinet d’assurance- crédit Euler Hermes, ce sont, ainsi, quelque 10.000 entreprises qui, à l’échelle nationale, devraient avoir cessé d’exister entre janvier et décembre 2020. M. Jouahri, tout en reconnaissant dans sa conférence de presse du 22 septembre que les “moyens” du Maroc “sont limités”, n’en a pas moins tiré l’alarme vis-à-vis d’un tissu économique qui reste fragile selon lui à plus d’un titre et qui comporte seulement 1% de grandes entreprises, contre 86% de petites entreprises et 13% de petites et moyennes entreprises (à 13%).

“C’est avec ces opérateurs que vous voulez faire la bataille économique? On ne peut que jouer aux pompiers avec ce tissu économique en période de crise à travers l’aide de l’Etat et des crédits bancaires. Ce qu’il faut d’abord, c’est rendre résilient le tissu économique pour faire face aux chocs, avant de penser à des mesures comme le “consommer marocain” par exemple. Car on ne peut pas obliger le consommateur à acheter marocain s’il n’y a pas un tissu économique fort,” a-t-il souligné.

Et comme on peut l’imaginer, les récentes mesures de confinement décrétées par les autorités -et qui, à partir de ce 21 septembre, se sont également étendues à la ville de Mohammedia, après Tanger et Kénitra et, donc, Casablanca- ne sont sans doute pas pour arranger les choses. Pis, l’impact sur l’emploi est encore plus dommageable, et avec la Royal air Maroc (RAM) qui, le 25 août, a été autorisée à licencier 140 de ses salariés par la préfecture de Hay Hassani, une vague de licenciements économiques n’est plus à écarter au Maroc: le fait que le PLFR ait conditionné l’aide de l’État aux entreprises par le maintien de 80% de leur staff était, dans ce sens, déjà un blanc-seing accordé au patronat par le gouvernement pour mettre à la porte, sans représailles aucune à son encontre, les 20% restant.

Décisions techniques Enfin, et c’est là sans doute que le bât blesse le plus, toutes les décisions de confinement et de reconfinement prises tout au long des six derniers mois l’ont été, pour le moins, de façon peu démocratique, dans la mesure où même un parti politique de la majorité, en l’occurrence l’Union socialiste des forces populaires (USFP), s’est plaint à plusieurs reprises au cours des dernières semaines de ce qu’il n’ait pas été associé au processus pour les prendre.

Le bureau politique du parti de la rose avait, à cet égard, accusé M. El Othmani de “procéd[er] à la justification de décisions techniques tout en tentant de leur assurer une couverture politique institutionnelle ignorant le soutien politique au gouvernement”. Référence étant là sans doute faite à la gestion quasi exclusive faite de la Covid-19 par les technocrates que sont Abdelouafi Laftit à la tête du ministère de l’Intérieur et Khalid Aït Taleb à la Santé, auxquels on pourrait ajouter M. Benchaâboun, qui n’a intégré le Rassemblement national des indépendants (RNI) qu’au moment de prendre les commandes du département de l’Économie fin août 2018 -et qui, d’ailleurs, a depuis quelque temps maille à partir avec son parti et son président, Aziz Akhannouch.

Conséquences politiques
Le même grief a également été fait, ces derniers mois, au Chef du gouvernement par les centrales syndicales, qui n’ont toujours pas gobé que l’augmentation de 10% du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) et du salaire minimum agricole garanti (SMAG) qui devait être opérée le 1er juillet 2020 après avoir été convenue dans le cadre du dialogue social de début 2019 n’ait pas été appliquée par les entreprises et l’ont fait savoir lors des deux réunions qu’elles ont eues au cours du mois de juillet avec l’Exécutif et ses représentants.

Seule exception, lorsque le ministre de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Saïd Amzazi, avait pris la décision de laisser le choix aux parents entre l’enseignement en présentiel et en ligne, mais il s’agissait plus de se dédouaner et d’éviter d’assumer des conséquences politiques qui, quelle qu’ait été la voie choisie, l’auraient rendu impopulaire. Et qui plus est, au final, il n’en a fait qu’à sa tête, puisqu’à Casablanca la rentrée, prévue le 7 septembre, a été rendue virtuelle, désemparant du même coup les parents qui, à J-24 seulement -ce n’est que le 6 septembre que le reconfinement de la capitale économique avait été décidé-, ne savaient plus du tout où donner de la tête.

Est-ce vraiment ainsi que le Maroc saura battre en brèche et la Covid-19 et ses différentes répercussions aussi bien sanitaires qu’économiques et sociales? En tout état de cause, il est plus que permis d’en douter...

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