Les vies humaines d'abord, la santé de l'économie ensuite

Les leçons de la crise du Covid-19

Nous aurons sûrement plusieurs mois encore à vivre avec ce viru s. Il faudrait poursuivre cet élan de solidarité qui devrait pouvoir survivre à la crise et nous rendre plus unis dans un Maroc nouveau et plus fort que jamais.

Evaluant à bon escient les expériences asiatiques et européennes, le Maroc a réagi à temps à la pandémie de Covid-19 en mettant au point sa propre stratégie intégrée et adaptée pour y faire face, qu’il va déployer avec réussite tout en mobilisant fortement autour. Très tôt le confinement a été privilégié et le choix de sauver les vies humaines tranché sans dilemme, tandis que certaines économies ultra-libérales qui hésitaient jusque-là à se mettre sous cloche, se pliaient finalement devant le redoutable, mystérieux et imprévisible virus, qui continuait à avancer de manière rapide et souvent silencieuse, causant sur son chemin des dégâts humains d’une ampleur horrifiante et étouffant les systèmes de santé insuffisamment préparés.

Une présence rassurante
Sans le confinement précoce, la courbe de contamination aurait dépassé rapidement le seuil de nos capacités de prise en charge, et on aurait pris le risque d’entraîner une surcharge intenable du système de santé et des décès évitables. En maintenant le confinement, l’épidémie est étalée dans le temps, la courbe de contamination aplatie et la charge mieux répartie sur nos infrastructures sanitaires dédiées au Covid-19, renforcées à l’occasion.

Sur le front, nos médecins, infirmier( e)s et auxiliaires de santé se démènent de toutes leurs forces. Leurs efforts et sacrifices sont salués par les citoyens, leur témoignant désormais plus de reconnaissance. Nos agents d’autorité sont sur le terrain, leur comportement nous rappelle ce «nouveau concept d’autorité» décidément bien ancré. La présence des forces de sécurité rassure et donne le signe d’un Etat protecteur. Ils veillent au respect des règles de confinement en multipliant les actions de communication, et en traquant ceux qui s’avisent à les contrevenir, sans lésiner sur les moyens les plus sophistiqués, tels les drones, pour y parvenir.

Accompagnement social
En seconde ligne, les agriculteurs, les transporteurs de marchandises, les commerçants, les caissières, les livreurs, les agents de propreté et de gardiennage, et bien d’autres sont là et bravent les risques pour nous faciliter la vie. N’oublions pas de les remercier aussi! Et puis, en dernière ligne, ceux qui restent chez eux pour ralentir la propagation du virus, et qui luttent contre le doute et la lassitude. Ils sont malheureusement loin d’être égaux devant cette crise. Pensons à tous ceux d’entre nous qui vivent dans des logements sociaux exigus; ceux qui sont privés du numérique pour échanger, apprendre ou se distraire; ceux dont les enfants n’arrivent pas à suivre une scolarité normale et ne peuvent pas compter sur l’aide des parents; celles qui subissent la montée des violences conjugales…. Tous ceux-là, au-delà du fait de sauvegarder leurs moyens de subsistance, méritent une attention particulière.

Réduire la fracture numérique qui les désavantage par exemple, et leur assurer un accompagnement social à distance pour les aider à surmonter tous les maux de société dont ils pourront faire les frais et que le confinement exacerbe. Enfin, n’oublions pas nos concitoyens restés bloqués en terre étrangère et qui s’accrochent au moindre espoir pour retrouver les leurs au plus vite. Sur le plan économique, la récession est bien là. Pour en sortir, Il faudrait agir sur l’offre et la demande, tous deux touchés par le confinement.

L’enjeu de l’emploi
Le retour à la hausse des déficits jumeaux et de la dette semble inévitable. Il faudrait absolument préserver les entreprises de la faillite, notamment les plus stratégiques, et accompagner la reconversion de certaines pour répondre à la nouvelle demande dictée par la gestion de la pandémie. L’enjeu est de préserver l’emploi dans un contexte marqué déjà par un chômage endémique important. Sur le plan mondial, l’ampleur de la crise est bien supérieure à celle de 2008, et n’a d’autre comparaison que le choc de 1929, sauf que celle-ci touche de surcroit à la vie humaine ! Premier verdict du FMI: l’économie mondiale devrait se contracter fortement de -3% en 2020. Pour l’instant, le meilleur moyen de sauvetage est d’investir massivement dans les systèmes de santé et la recherche médicale.

Plus vite on sortira de l’épidémie en cernant sur le plan médical le virus et mieux ce sera pour l’économie. Mettre au point des vaccins et des traitements efficaces est la solution la plus sûre qui devrait ramener la confiance, car seule la confiance des ménages et des entreprises pourrait relancer la demande et dynamiser l’offre.

Pour sa part, le monde reste fragmenté face au virus. La fermeture des nations sur elles-mêmes semble faire oublier la solidarité internationale pour un moment. Encore une fois, le Maroc prend le contrepied et donne l’exemple. Il met une polyclinique à la disposition du Mali et propose une initiative africaine pour le partage d’expériences et de bonnes pratiques. L’Afrique, ayant reçu tardivement l’onde de choc du Covid-19, pourrait très mal l’absorber et l’impact pourrait être sévère sur tous les plans.

Sérénité et courage
S’il est fort probable que la menace du coronavirus puisse planer sur la durée et que le confinement soit prolongé, la perspective du déconfinement devrait être bien présente dans nos esprits et bien pensée par nos décideurs. Il se fera sûrement de façon progressive, localisée, ciblée et sous conditions pour minimiser le risque d’une seconde vague.

Ces conditions, ce sont des masques à distribuer à grande échelle, des mesures de «distanciation sociale» et de «gestes barrières» à conserver le plus longtemps possible, des tests rapides, massifs et répétitifs à déployer et, pourquoi pas ?, à fabriquer chez nous, un traçage numérique des personnes contaminées, et toute une organisation nouvelle à imaginer et implémenter.

Nous aurons sûrement plusieurs mois encore à vivre avec ce virus. Il faudrait le faire avec sérénité et courage et poursuivre cet élan de solidarité qui devrait pouvoir survivre à la crise et nous rendre plus unis dans un Maroc nouveau et plus fort que jamais. Nous devons voir dans cette crise une chance, car ce qui nous permet aujourd’hui de tenir nous aidera demain à bâtir un nouveau projet de société plus juste et équitable pour le bien-être de tous et le bonheur du vivre-ensemble.

PAR ANASS DOUKKALI Universitaire, Ancien ministre de la Santé

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