Exploitation d’une responsabilité d’État pour un enrichissement illicite. Demande pressante de criminalisation du délit de détournement de deniers publics. Une réforme attendue. Une réforme bloquée.
Le projet de loi sur la déclaration du patrimoine personnel revient devant le parlement. Encore et encore. À l’évidence, il n’a de choix qu’entre passer comme une lettre à la poste après avoir été vidé de son sens et de ses objectifs premiers; ou se pérenniser dans les tiroirs parlementaires. La navette en interne avec les partis politiques, via leurs représentants élus; ainsi que le CNDH (Conseil national des droits de l’Homme) n’a jamais cessé. Pour rien, estiment les juristes les plus au fait de ce dossier.
Pour Mustapha Ramid, ministre d’État chargé des droits de l’Homme et des relations avec le parlement, l’affaire est entendue dès lors que les réformes et les nouveaux textes qui s’en suivent dans un droit pénal revisité, ne criminalisent pas l’enrichissement illicite. C’est l’une de ses sorties médiatiques ciblées dont M. Ramid, fidèle à lui-même, a le secret. Il n’a pas manqué l’occasion d’en faire usage lors d’une journée de réflexion du PJD à la Chambre des Conseillers, sous le thème «Le code pénal et les modifications actuelles.... Quelle philosophie pénale pour quelle réalité sociale?». Force est de reconnaître que cette fois-ci, parmi d’autres, il a fait mouche. Une manière de dire que sans cette condition incontournable, tout le reste n’est que bavardage sans valeur juridique et sans impact positif sur l’opinion publique. Bien au contraire, maintenir cette question en suspens, sans explication convaincante, est très mal reçu par toutes les composantes sociales. Une réaction qui coule de source, pour une conclusion toute faite. Il y a, affirme-t-on, sur un ton définitif, comme une conspiration des milieux concernés pour que rien ne bouge à ce sujet; surtout pas dans le sens d’une criminalisation et des sanctions qui en découlent.
Sont évidemment concernés en première ligne, les agents de l’État qui ont à gérer des budgets publics spécifiques; que ce soit pendant l’exercice de leur fonction ou après. Il y a toujours ces signes extérieurs de richesse qui permettent l’élargissement du cercle des malversateurs de tout bord. Il est en effet difficile de ne pas voir, à ce propos, un fil conducteur reliant les auteurs de ces agissements calamiteux et leurs réseaux d’obligés bien motivés.
Devoir fiscal
L’image la plus ancrée dans les esprits est celle de cet ex-ministre qui doit tout à son ministère où il est entré très classe moyenne pour en sortir membre à part entière parmi le corps constitué des nouveaux riches. Une ascension suspecte que le législateur de service n’entend pas corriger dans les textes d’une procédure pénale réformée et d’un enrichissement illégal au détriment des contribuables. Quitte à ce que pareille situation passe par un questionnement des juges; de même qu’elle nous rappelle à la bonne souvenance d’un vieux slogan de la littérature istiqlalienne, «d’où as-tu cela».
Si cette interpellation avait été appliquée depuis des lustres, dans les règles de l’art de la pratique politico-judiciaire, le pays aurait évité tant de temps perdu. Le rapport État-société aurait été bien meilleur. Sous d’autres cieux, ce rapport est intimement lié à la situation fiscale de la personne. La citoyenneté est ainsi jaugée à ce paramètre. Bien des carrières politiques ont été brisées en Europe et ailleurs pour manquement au devoir fiscal. Les contribuables, pourvoyeurs de la richesse publique, sont fiers de leur fidélité citoyenne, en payant son dû à l’État. C’est sur la base d’une déclaration sur l’honneur que se construit cette fierté. «L’honneur vaut toutes les valeurs», dit-on. La moralisation de la vie publique est à ce prix.