Dans l’ère post-Covid-19, la réussite du chantier de la général isation de l’AMO sera déterminant pour l’avenir de notre pays, de par s a portée et ses effets sur le développement humain.
La pandémie de la Covid- 19 que nous traversons toujours a mis au défi tous les systèmes de santé et de protection sociale à travers le monde. Elle nous a montré que face aux menaces des urgences de santé publique, l’absence de filets sociaux, de régimes de protection sociale et de couverture médicale solides, peut constituer un facteur supplémentaire d’érosion de la cohésion et de l’inclusion sociales.
Elle nous a aussi appris que les politiques ultra-libérales, usant impunément du dumping social et environnemental au détriment de la santé, de la sécurité et du bien-être de centaines de millions de citoyens, sont loin d’être soutenables; que le désengagement de plus en plus accéléré de l’État des secteurs sociaux et des secteurs économiques souverains et stratégiques est un élément de fragilisation de l’État luimême et de la société; et que par contre, l’État central fort, protecteur et social est le système qui a montré le plus de résilience face à la pandémie.
Ainsi, pour le Maroc, le rôle de l’État, sous la conduite éclairée de S.M. le Roi, a été déterminant pour endiguer les effets de la pandémie sur l’état de la santé, de l’économie et du social, grâce à une mobilisation à tous les niveaux et une gestion proactive dès l’apparition des premiers cas en Chine, et le rapatriement des jeunes Marocains bloqués à Wuhan, en Chine. Plusieurs mesures connues s’ensuivirent, jusqu’au lancement précoce de la campagne de vaccination, pionnière dans la région, qui a permis jusqu’à aujourd’hui d’atteindre 32% de la population complètement vaccinés, et l’annonce de la fabrication locale de vaccins avec une capacité de production à court terme de 5 millions de doses par mois, en passant par toutes les autres mesures, que ce soit de relance économique ou d’aide sociale pour assurer un revenu minimum et préserver le pouvoir d’achat des populations les plus touchées.
Dans ce sillage, on peut considérer que le chantier de la mise en oeuvre de la généralisation de la protection sociale lancé par S.M. le Roi en avril 2021 constitue la réponse sociale la plus forte, la plus solidaire et la plus adéquate à la pandémie. C’est l’occasion de concrétiser la volonté royale exprimée dans plusieurs discours, qui est celle d’associer le développement économique au progrès social, car la couverture sociale n’est pas un fardeau pour l’économie et le budget, mais plutôt une condition indéniable pour atteindre une économie productive et développée.
La généralisation de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) à fin 2022, au profit de 22 millions de personnes supplémentaires, est l’un des piliers majeurs de ce projet d’envergure. Elle constitue une garantie pour atteindre rapidement la couverture sanitaire universelle et réduire ainsi les inégalités sociales et spatiales d’accès aux services de soins de qualité. Néanmoins, sa réussite reste tributaire de la capacité de créer les conditions de sa pérennisation, et de poursuivre les réformes du système de santé.
Ainsi, pour accompagner l’élargissement de l’AMO, il est nécessaire de prendre un certain nombre de dispositions et de mesures directes et indirectes. Parmi les mesures directes figure, sur le plan législatif, la révision profonde de la loi 65-00 relative à la couverture médicale de base (CMB), de la loi 98-15 relative à l’AMO des travailleurs non-salariés (TNS), ou encore de la loi cadre 34- 09 relative au système de santé et à l’offre de soins. Sur le plan financier, il faudrait assurer de manière durable la contribution solidaire de l’État en dégageant des marges budgétaires consistantes provenant de recettes fiscales. Tout en poursuivant la réforme fiscale, l’autorité financière est invitée à opérer un changement de paradigme tant au niveau de l’assiette qu’aux niveaux de la typologie et de la classification des impôts, pour asseoir un système plus juste et équitable. Sur le plan de la gouvernance, la mise en place d’un instrument unique de pilotage, de contrôle et de coordination est nécessaire, ainsi que l’adoption à terme d’un instrument unique de gestion de l’AMO.
Quant aux mesures indirectes, elles sont liées principalement aux chantiers de la réforme du secteur public (charte de déconcentration, statut de la fonction publique, transformation numérique, réforme des EEP…), de la mise en place d’un cadre incitatif au partenariat public-privé, et surtout de la lutte contre la corruption, la concurrence déloyale, la fraude et l’évasion fiscales et particulièrement toutes les formes de fraude sociale, que ce soit aux déclarations, aux cotisations ou aux prestations.
Parmi les autres chantiers aussi importants, on peut citer celui de la déclinaison de la charte de l’éducation et de la formation pour préparer l’élite de demain et une force de travail qualifiée, ou encore les réformes politiques, à même d’amener un nouvel élan à la vie politique nationale et de faire émerger de nouvelles élites jeunes et compétentes, qui seront appelées à exercer des mandats publics aux niveaux local, régional et national.
La généralisation de l’AMO signifie aujourd’hui la fin du régime RAMED, qui couvre une population de 12 millions de personnes, et dont le chantier de mise en place a duré plus de 12 ans, depuis la première expérience pilote au niveau de l’ancienne région Tadla-Azilal, sans jamais être achevé, ce qui explique en partie ses limites. Ce régime connaîtra dès à présent un basculement vers un système universel basé sur une approche assurantielle, en l’occurrence, l’AMO. Aussi, pour mieux anticiper sur les difficultés auxquelles fera face ce régime universel, une lecture de l’expérience de l’application de l’AMO, jusqu’à présent, s’impose naturellement.
Enfin, pour assurer la réussite du chantier de l’AMO, des mesures d’accompagnement relatives à la réforme profonde de notre système de santé s’avèrent nécessaires à travers notamment la poursuite de la mise à niveau et de l’élargissement de l’offre de soins de façon juste et équitable, la résorption du déficit important en ressources humaines, le renforcement de leurs capacités ainsi que la valorisation de la fonction publique sanitaire en lui consacrant un statut particulier motivant pour le personnel de santé, tout en opérant à court terme une ouverture à l’exercice des médecins étrangers.
Il s’agit également de consacrer la dimension régionale pour la gestion du secteur et faire des CHU de véritables locomotives du système de santé dans les régions, ainsi que la réalisation d’une convergence des politiques publiques dans le domaine de la prévention et de contrôle des maladies (agro-alimentaire, développement social, sport, environnement, habitat et fiscalité), sans oublier l’accompagnement du secteur libéral pour en faire un véritable partenaire de cette réforme et la réussite de la transformation digitale du secteur, à travers, notamment, la mise en place d’un système d’information sanitaire global et intégré.
Dans l’ère post-Covid-19, la réussite du chantier de la protection sociale et celui particulier de la généralisation de la couverture médicale, sera déterminant pour l’avenir social et économique de notre pays, de par sa portée et ses effets sur le développement humain et sur la croissance en général, et particulièrement sur la réduction des inégalités sociales et territoriales qui continuent à sévir. Pour cela, notre pays doit mobiliser toutes ses ressources et libérer toutes ses énergies afin de transformer cette crise en une véritable opportunité d’émergence, dans un cadre de pacte économique et social, tel que voulu par S.M. le Roi, à même d’impulser une nouvelle révolution du Roi et du peuple.
Par Anass Doukkali. Universitaire, Ancien ministre de la Santé