Par-delà les revendications matérielles, les manifestants algériens veulent la liberté de parole. Un changement à Alger est-il envisageable? Pour quelle conséquence dans les rapports avec le Maroc?
L’élection présidentielle en Algérie nous regarde. Nous ne sommes pas seulement partie concernée, mais aussi intéressée. Question du Sahara oblige, mais pas uniquement. L’appartenance à la même région, qui plus est avec quelque 2.000 kilomètres de frontières communes, y est pour beaucoup. Des frontières qu’on n’a même pas été en mesure de borner. Quant au partenariat économique éventuel, aux intérêts mutuels bien compris, il est en panne depuis des décennies. Une perte sèche pour la région.
Ce sont toutes ces raisons suffisantes et d’autres encore qui sont à l’origine de l’intérêt marocain pour l’événementiel algérien actuel. C’est d’autant plus légitime pour toutes sortes d’observatoires que l’actualité politique de l’Algérie se déroule dans la rue.
La crise algérienne, telle qu’on l’appelle désormais, est celle d’un régime politique à bout de souffle. Il y eut, évidemment, un fait déclencheur; celui de savoir qui parmi les candidats dirigera l’Algérie depuis le fauteuil présidentiel du palais de la Mouradia. La candidature de Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat fait l’objet d’un rejet total et catégorique. Le système d’organisation des affaires de l’État est tellement centralisé, pratiquement fermé, qu’il n’y avait d’autres tribunes accessibles que la rue.
Ce mandat de trop, qui plus est porté par un homme sur une chaise roulante, privé de l’usage de la parole, paraît surréaliste. Dans l’imagerie populaire, dès lors qu’il s’agit d’un handicap, certes lourd, c’est un handicap de l’État dans ses prolongements incontournables. Pas besoin d’en appeler à un académisme hermétique pour aboutir à pareille déduction. Pour le commun des Algériens, l’image du pays telle qu’elle est diffusée à travers le monde, est intolérable. Pour les chancelleries diplomatiques à Alger, cela ne relève plus de la politique, mais d’une psychiatrie hautement certifiée, politiquement intenable.
Ceci pour dire que le débat politique à partir de la rue n’arrive pas qu’aux autres. Démonstration vient d’être faite en France par le phénomène des gilets jaunes. Sauf que dans ce genre de factuel, la transposition n’est pas sans risque. Ne serait-ce qu’au niveau du rapport officiel à la liberté de manifester. L’écriture des lois sur les parchemins est la même; la réalité sur le terrain est autre.
Notre perception de l’Algérie ne peut être la même que celle d’autres pays du voisinage géographique. L’historicité des rapports avec l’Algérie n’est pas la même. La nôtre est pleine de quiproquos. Ce n’est pas de conflit d’intérêts qu’il s’agit, une constante dans les relations internationales, depuis la nuit des temps.
Nous regardons l’Algérie à travers deux prismes: le Sahara marocain et Bouteflika. Deux viseurs entièrement interactifs. Depuis vingt ans révolus de la gouvernance Bouteflika, nous avons pris l’habitude de décortiquer la politique marocaine de l’Algérie à travers le viseur-Bouteflika, l’exécutant testamentaire de l’héritage de Houari Boumedienne. Le thème récurrent n’a pas varié, sans être loin de la vérité. C’est l’Algérie conquérante qui entend s’agrandir et se renforcer en tant que grande puissance africaine.
En fait, c’est le Maroc, dans son entièreté géographique et sa diversité économique, qui intéresse l’Algérie; et pas seulement le Sahara. Le Maroc, arrière pays agricole au service d’une superpuissance algérienne, pourquoi pas? Les gesticulations de surface, à la commande des donneurs d’ordre d’Alger, n’ont pas d’autres motivations. Une réalité de derrière le rideau diplomatique que le déroulé du temps présent n’a pas fini de confirmer