
Jeudi 16 juillet 2015, vers 6h30 du matin. Le marché hebdomadaire de Boumya, commune rurale située à 44 kilomètres à l’Ouest de la ville de Midelt, était le théâtre d’un événement tragique. Possédés par une cruauté digne des rituels moyenâgeux, les commerçants et les visiteurs présents ce petit matin au souk se sont acharnés sur deux présumés voleurs. Un cri, «Au voleur», lancé par un marchand de bétail, a suffi pour déclencher une succession de scènes horribles.
La victime du vol pointait deux hommes, un quinquagénaire et un vicénaire originaires de Khemissat, les accusant de lui avoir dérobé la somme de 2.000 dirhams. Dans une réaction bestiale, les présents sur les lieux ont encerclé les deux suspects et se sont mis à les tabasser et à les piétiner, sans même prendre le temps de vérifier les dires du commerçant. Pire, les «justiciers» enragés n’ont pas hésité à lapider les deux présumés voleurs. Un spectacle atroce qui s’est étalé sur une heure, encouragé par l’absence totale des forces de l’ordre. Une heure durant, les deux malheureux ont subi le délire furieux d’une foule aveugle. Transportés dans un état très grave à l’hôpital provincial de Midelt, le plus vieux des deux a succombé à ses blessures, tandis que le second, se trouve dans un état très critique.
Depuis, une vidéo relatant ces faits circule sur les réseaux sociaux, et met à nu une pratique très répandue dans la région, mais dont on parle rarement. En effet, il ne s’agit pas du premier incident du genre, ni le dernier, malheureusement. En mai dernier, un jeune homme, pris la main dans le sac dans le même souk, a échappé à la mort après s’être fait lyncher par les commerçants. Se faire justice par soi est monnaie courante dans la région.
Tradition sinistre
Il s’agit d’une méthode fréquemment utilisée dans l’Atlas, pour pallier la nonchalance des autorités dans les affaires de vol aux marchés hebdomadaires. Des sources locales nous affirment que lorsque des brigands sont arrêtés par la gendarmerie, ils sont généralement relaxés sans sanctions dissuasives. De ce fait, ils reviennent souvent à la charge, et se retrouvent des fois face aux anciennes victimes de leurs larcins. Et c’est justement ce sentiment d’insécurité et d’injustice qui nourrit la rage des commerçants, et les pousse à opter pour la violence sans passer par les instances compétentes. Ce nouvel incident pose le problème de l’absence des pouvoirs publics. Le souk de Boumya, qui rassemble plus de 4.000 personnes, connaît des vols estimés à 10.000 dirhams en moyenne par semaine.
Si la réaction des autorités a tardé, il n’en demeure pas moins vrai que ces actes barbares sont inadmissibles. La gendarmerie royale a arrêté, mardi 21 juillet 2015, quatre suspects impliqués dans cette affaire. Cela porte le nombre des personnes arrêtées à cinq, après l’interpellation, samedi 18 juillet, d’un premier suspect. Ils seront tous déférés devant la justice, alors que les investigations se poursuivent pour identifier les autres personnes impliquées dans cette agression. Le ministère de la Justice et des Libertés et le ministère de l’Intérieur ont rappelé que tout acte visant à se substituer à la justice ou aux forces de l’ordre est totalement illégal et puni par la loi.