Un assemblage improbable

Abdellatif Mansour

Comme son nom l’indique, l’exposé  de politique générale du gouvernement  est une déclaration.  D’aucuns ajoutent “déclaration  d’intentions”; d’autres parlent de  “catalogue de voeux (pieux)”. Quelle qu’en soit  l’appellation, cette feuille de route en guise de  programme présenté devant le parlement en  congrès, le 19 avril 2017, a besoin d’un outil  opératoire pour avoir un suivi d’application; à  savoir un gouvernement. Nous en avons un  depuis le 5 avril, après que son chef ait été  nommé le 17 mars. Qu’en est-il de cette instance  exécutive, de sa composition partisane  ou techno-politique et de sa capacité opérationnelle?  Que peut-on en attendre face à un  fastidieux listing de questions en suspens et de  problèmes urgents? Rien, disent à l’unisson les  pessimistes, généralement abstentionnistes,  échaudés par les promesses non tenues et les  discours creux des carriéristes politiques. Les  optimistes incurables, eux, estiment qu’il faut,  malgré tout, garder espoir pour que cette fois-ci  soit la bonne. Pour faire la part des choses, rien  de mieux que d’interroger les faits, qualifiés, à  juste titre, de têtus.

C’est, en premier lieu, le nombre qui saute aux  yeux. Avec 39 membres, chef compris, entre  ministres et secrétaires d’État, cela fait beaucoup;  autant dans l’absolu que par rapport à  l’engagement non tenu de Saâd Eddine El Othmani  de former un Exécutif resserré et efficace.  Ce n’est pas parce qu’on n’a eu que des gouvernements  pléthoriques depuis l’alternance  de 1998, qu’il fallait récidiver. L’effet du nombre  n’est pas seulement pénalisant pour une certaine  mobilité physique; mais surtout parce qu’il  rend encore plus problématique la coordination  de l’action gouvernementale ainsi que la cohérence  de ses interventions. Deux critères essentiels  dans l’évaluation du fonctionnement et  du rendement d’un pouvoir exécutif.

On est encore plus convaincu par ces réserves  lorsqu’on rapporte le nombre de portefeuilles  à celui des couleurs partisanes représentées.  Ils sont six partis politiques à être de la partie.  Ces formations possèdent-elles des points  de convergence susceptibles de les faire agir  ensemble et en toute complémentarité? Il est  permis d’en douter.

Rarement un Exécutif aura été aussi massivement  convoité par cette foultitude de prétendants.  Pratiquement tous  les partis représentés au  parlement voulaient y être,  à l’exception du PAM. Le  RNI a même exigé d’avoir  quelques strapontins pour  son protégé, l’UC. Sinon,  il rendrait impossible la  formation d’une majorité  arithmétique au parlement  et au gouvernement.

Un gentil chantage qui s’est  avéré payant, puisque le  RNI a eu le nombre et les portefeuilles demandés.  La part du lion par rapport au PJD, si l’on  en juge par l’importance stratégique des départements  obtenus. Alors qu’il était invité à faire  partie du gouvernement, l’USFP a fait la fine  bouche. Il l’a amèrement regretté en faisant  pratiquement le pied de grue devant le siège  du PJD. Il a été sauvé par un repêchage venu  d’en haut et transmis par le canal Akhannouch.  La connivence idéologique au sein de l’Internationale  socialiste avec le nouveau secrétaire  général de l’ONU, et néanmoins socialiste,  Antonio Guterres, a tranché en faveur d’une  présence de l’USFP au gouvernement. Pour  ce qui est de l’Istiqlal, la hargne contre Hamid  Chabat ne s’explique que parce qu’il était perçu  comme un empêcheur de ministrabiliser  en rond. Un péché majeur pour un parti de  gouvernement, par essence. Voyant qu’une  position commune avec l’Istiqlal et l’USFP  n’était pas possible, le PPS a pris son ticket  gouvernemental bien avant. Il n’y a donc pas  lieu d’invoquer quelques préalables politiques  comme condition pour faire partie de cette coalition  gouvernementale. Il n’était question que  d’embarquer ou dépérir. Une sorte de sauvequi-  peut pour une place au soleil  de l’Exécutif. C’est peut-être  l’unique facteur de cohésion en  creux, totalement négatif, de  cette alliance hybride.

La mère des interrogations  tombe sous le sens. Des partis  qui connaissent ce type  de bouillonnement en interne  peuvent-ils vivre en bonne intelligence  politique au sein d’une  alliance gouvernementale?  Une relation de cause à effet  pour une coalition qui devra briller par la cohérence  de sa politique dans toutes les sphères  d’activités, malgré la diversité partisane de sa  composition.

L’homme à la barre s’est-il donné  les moyens de maintenir à flot cette arche de  Noé. Saâd Eddine El Othmani en a-t-il le profil,  la capacité d’encaisser, la patience et le mental  de la fonction? Malgré son art consommé de  la répartie et de la dérision, Abdelilah Benkirane  a été débarqué juste avant qu’il ne jette  l’éponge. El Othmani tiendra-t-il tout un quinquennat  comme son prédécesseur et alter égo  politique? Là aussi, le doute est permis

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