Les tueurs d'Imlil chargent le Cheikh Al Maghraoui

Procès de l'assassinat des deux scandinaves

La partie civile dans le procès d’Imlil évoque un lien entre le Cheikh Al Maghraoui et les 24 prévenus impliqués dans l’assassinat à la décapitation de deux touristes scandinaves, le 17 décembre 2018.

Jeudi 13 juin 2019, Tribunal anti-terroriste de Salé. Une nouvelle audience très particulière du procès des 24 prévenus impliqués dans l’assassinat à la décapitation de deux touristes scandinaves, une de nationalité norvégienne et l’autre danoise, le 17 décembre 2018, lors d’une de leurs randonnées dans les montagnes d’Imlil, région de Marrakech, s’est tenue devant la chambre criminelle.

Depuis l’ouverture de ce procès le 2 mai 2019, jamais une audience n’a été aussi captivante du fait de ses révélations inédites. Après près de six heures, le président de la cour a renvoyé le procès à une date ultérieure pour statuer sur une requête spéciale.

Révélations inédites
Les avocats de la partie civile ont demandé au tribunal que le cheikh salafiste Mohamed Al Maghraoui, célèbre entre autres pour sa fatwa sur le mariage des fillettes de 9 ans, comparaisse devant le tribunal. La partie civile a invoqué, sans détours, la responsabilité des écoles coraniques, Dar Al Kur’aan, fondées par cheikh Mohamed Al Maghraoui et fermées par les autorités en 2013, dans l’assassinat des deux jeunes scandinaves à Imlil.

La requête a été initiée par Khalid El Fataoui et Lhoucine Raji, les avocats de la partie civile. «Nous réclamons la présence d’une partie essentielle dans ce dossier, à savoir l’association Prédication pour le Coran et la Sunna (…) en la personne de son représentant légal, Mohamed Al Maghraoui », a déclaré M. El Fataoui au juge Abdelatif Amrani, appuyant sa demande par une requête écrite corroborant ses charges.

Plusieurs prévenus, dont le principal accusé, Abdessamad Ejjoud, ont suivi des enseignements coraniques dans ces écoles. Pour la partie civile, les 24 accusés impliqués dans cette affaire ont été embrigadés dans la même maison. Elle donne pour preuve «les déclarations devant la cour» des principaux accusés. «Ils ont unanimement affirmé avoir suivi des cours dans cette école», soutient-elle. Et d’ajouter qu’en «2009, la cour d’appel administrative de Marrakech établissait qu’une centaine de personnes ayant fréquenté ces écoles ont fini par rejoindre des cellules terroristes».

À l’école de l’extrémisme
Pour rappel, le réseau des écoles coraniques Dar Al Kur’aan a été fermé en 2010 et des scellés y ont été posés en 2013 par les autorités locales. Le motif est que cheikh Al Maghraoui avait refusé la tutelle et le contrôle de l’Etat. Ses écoles ne disposaient pas d’autorisation préalable pour conférer la légalité à son activité.

En 2002, le Maroc avait placé l’enseignement originel -ou traditionnel- sous la tutelle du ministère des Affaires islamiques. Les écoles coraniques existantes disposeraient d’un délai de 4 ans à compter de la publication des décrets d’application pour se mettre en conformité avec les exigences de la loi, à tous les niveaux, à commencer par les programmes. Cheikh Al Maghraoui avait refusé de régulariser sa situation auprès des autorités supervisant l’enseignement originel (Attaâlim alâtik) dans les délais prescrits. Ce refus dissimulait-il une activité occulte? La réponse vient de l’un des accusés, en l’occurrence Abdelaziz Feryat, 30 ans, déclare qui devant la cour: «Al Maghraoui a deux faces: celle qu’il affiche aux autorités, et une autre, radicale, avec des idées extrémistes».

Saïd Toufik, un ancien soldat âgé de 23 ans, s’est dit «convaincu» par le jihadisme, en expliquant s’être radicalisé après avoir quitté l’armée en 2016 et avoir eu des contacts avec des groupes radicaux, notamment en Afghanistan. «Il aurait été préférable d’assassiner des hommes et non des femmes» car «ce sont eux qui tuent les frères syriens», a-til dit lors de l’audience.

Macabres projets
Les autres complices présumés démentent adhérer au jihadisme mais reconnaissent qu’ils fréquentaient les principaux suspects et participaient à des réunions organisées par Abdessamad Ejjoud, tout en assurant n’avoir rien su de ses macabres projets. Ejjoud, un marchand ambulant de 25 ans, a, lui, reconnu avoir assassiné une des deux touristes. Younes Ouaziyad, 27 ans, a reconnu avoir décapité la seconde; et Rachid Afatti, 33 ans, avoir filmé la scène avec son téléphone portable. Des images de la décapitation et une vidéo de serment d’allégeance à l’Etat islamique (Daech) ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Daech n’a pas revendiqué le double assassinat. Le très controversé cheikh Al Maghraoui était inconnu jusqu’au jour où il a défrayé la chronique en affirmant que les fillettes de 9 ans étaient mariables si leur morphologie le permettait. Des propos qui lui avaient valu, à l’époque, une volée de bois vert de la part des féministes.

En 2015 et 2016, Al Maghraoui s’est montré, après la fermeture de ses écoles coraniques, comme hostile au jihadisme et rejetant toute forme de violence, s’opposant même aux mouvements de contestations populaires dans certaines villes comme Al Hoceima et Jerada. Mais il n’a jamais voulu parler des raisons qui l’ont poussé à refuser le contrôle de l’Etat sur ses écoles. Rejetait-il la mainmise des autorités sur la manière de prodiguer cet enseignement traditionnel ou c’était uniquement une façade pour cacher une autre activité illicite?.

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