Trouver l'alternative au néolibéralisme

La nécessité d’une gauche nouvelle

La réconciliation et l’unification des forces de gauche et leur recomposition au sein d’un «bloc de gauche» et autour d’un programme commun, à l’échelle aussi bien nationale, régionale qu’internationale, pourrait constituer une vraie alternative au néolibéralisme.

Notre monde est bel et bien en train de changer. Il vit depuis l’aube de ce siècle au rythme d’une multitude de crises politiques, sécuritaires, économiques, sociales, écologiques et sanitaires qui se suivent et s’entremêlent et qui ne sont, en fait, que des expressions d’une crise d’hyper-mondialisation qui profite à une minorité de gagnants sans prise en compte des perdants, d’un ordre mondial unilatéral qui méprise ce monde devenu multipolaire et d’une pensée unique dominante qui promeut des choix de société, présentés comme seuls légitimes.

Devant la crise de la pensée politique, les alternatives en rupture avec le péril néolibéral se font rares, si ce n’est les courants de pensée populiste ou extrémiste qui éclosent un peu partout, nourrissant la haine, le racisme, l’ostracisme, la violence et le terrorisme. Même si l’émergence de plusieurs mouvements sociaux, contestataires de l’ordre libéral établi, laisse parfois entrevoir des soupçons de changements politiques et de mutations sociales, la plupart finissent par s’estomper, du fait de la nature même de ces mouvements à la pensée et à l’action non structurées au sein d’un projet politico-idéologique universel.

Si la pensée néolibérale a pu influencer indifféremment les politiques de droite et de gauche sociale-démocrate, plusieurs idéologies n’ont cessé de s’y opposer en pointant du doigt la marchandisation du monde qu’elle a induite. Des mouvements et partis de gauche ou écologistes tentent en effet de proposer des projets politiques alternatifs qui ne manquent pas de percer ici et là. Mais il leur faudra compter avec l’extrême droite, dont la montée spectaculaire et dangereuse depuis quelques années est plus une conséquence qu’une alternative au néolibéralisme. La montée des inégalités aboutit logiquement au repli sur soi, au discours populiste et au choix électoral extrême. Aujourd’hui, les idées populistes en Europe, prônant le nationalisme chauvin, le racisme, la haine des immigrés ou l’islamophobie contaminent la droite «classique» et même une partie de la gauche social-libérale.

Partisans de l’altermondialisme et de la décroissance, adversaires du productivisme et convaincus que la priorité écologique pourrait effacer le clivage gauchedroite, les verts arrivent difficilement à s’imposer sur l’échiquier politique. Certains iront jusqu’à dire que leur idéologie n’en est pas une, tant qu’elle n’arrive pas à trouver exactement les termes qui suscitent des affects d’adhésion. De même, leurs propositions restent difficilement acceptables par une large coalition pouvant les amener un jour au pouvoir. Aujourd’hui, tout le monde est conscient du danger écologique et la thèse de la transition écologique devient transversale et touche aussi bien les progressistes que les libéraux, qui ont des approches plus pragmatiques de la question écologique.

Un compromis historique
Les trajectoires politiques et idéologiques des composantes de la gauche durant le 20ème siècle ont été différentes selon les contextes et expériences nationales dans lesquels elles ont vécu. Vers la fin du 20ème siècle, la gauche au pouvoir, et particulièrement la social-démocratie européenne, a été entraînée au coeur de la déferlante du libéralisme triomphant, avant qu’elle ne s’effondre politiquement à l’avènement de la crise financière et économique de 2008. Un peu partout, les politiques de privatisation, la destruction des structures collectives, les baisses d’impôts, les réformes de retraite, l’austérité budgétaire au détriment des leviers de l’État providence que représentent l’école, la santé et la protection sociale ont eu raison de cette gauche qui a perdu le sens du bien commun et ont précipité sa rupture avec les classes populaires qu’elle semble avoir abandonnées.

En Europe, par exemple, c’est l’ensemble du système des clivages et de structure politique gauche-droite de la période 1950-1980 qui s’est graduellement effondré et qui est en phase de recomposition depuis quelques années. En Amérique latine, les contestations populaires qui ont lieu depuis 2019 dans de nombreux pays de ce continent contre la détérioration des conditions socio-économiques, aggravées par les conséquences économiques et sociales, mais aussi les restrictions sur les libertés, en réponse à la pandémie de la Covid-19, continuent de changer la carte politique de la région au bénéfice des forces de gauche.

Après le Mexique en 2018, l’Argentine en 2019, la Bolivie en 2020 et le Pérou en 2021, c’est le Chili, véritable laboratoire du libéralisme en Amérique latine, qui vient de basculer à gauche. Mais ce retour de la gauche qu’on peut observer dans plusieurs pays et continents, s’il peut constituer une atténuation des effets délétères du néolibéralisme, est loin de signifier son dépassement. Pire encore, les expériences de la gauche électorale qui se multiplient et s’alternent apportent souvent leurs lots de déceptions qui ne manquent pas de faire le lit du populisme de l’extrême droite et accélèrent son arrivée au pouvoir. De plus, si le néolibéralisme est mondialisé et constitue l’ossature d’un ordre mondial établi depuis les années 80, l’internationalisme de la gauche, par contre, a beaucoup perdu de sa vigueur, pour pouvoir influencer et agir en faveur d’un ordre économique mondial plus juste.

La réconciliation et l’unification des forces de gauche et leur recomposition au sein d’un «bloc de gauche» et autour d’un programme commun, à l’échelle aussi bien nationale, régionale qu’internationale, pourrait constituer une vraie alternative au néolibéralisme. Pour cela, la gauche a besoin de construire sa propre pensée en dialoguant avec celles des autres et de ne pas penser contre une pensée. Elle devrait savoir faire sa propre autocritique et ne pas se limiter à la critique du néolibéralisme. Quoi qu’il puisse apparaître, le néolibéralisme n’est pas insurmontable, n’en déplaise au slogan thatchérien ‘There is no alternative’.

Pour affronter le néolibéralisme, la gauche devrait déconstruire méthodiquement son discours, en montrant ses erreurs, ses fautes logiques et ses dérives inégalitaires. Déconstruire son discours par des arguments rationnels en montrant que d’autres solutions existent et fonctionnent et ne relèvent pas de l’utopie comme il veut nous faire croire. Présenter la pensée néolibérale comme une fausse contrainte imposant le marché là où il n’est ni utile, ni nécessaire, notamment au niveau des services publics non marchands et à caractère social, en remplaçant le financement par l’impôt par un financement direct par les ménages.

Si elle a l’ambition d’être majoritaire, la gauche doit faire en sorte de réconcilier les deux gauches. La gauche social- démocrate, habituée aux arcanes et à l’exercice du pouvoir et la gauche progressiste ou radicale, politiquement minoritaire, mais qualifiée par ses partisans de «vraie gauche», le tout autour d’un compromis historique et d’un programme minimum commun qui propose les éléments d’une alternative. Reste à trouver une coalition sociale prête à voter pour cette alternative. Une coalition qui doit se faire autrement qu’entre les électeurs des partis du bloc de gauche, pour aller vers l’électorat des classes populaires abandonnées et l’arracher aux mains des partis populistes et d’extrême droite.

Par Anass Doukkali,
Universitaire,
Ancien Ministre

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