Ancien ministre du Commerce de l’Algérie. Smaïl Goumeziane analyse, en profondeur, le cheminement transitionnel en Algérie et l’avenir du Hirak.
Voilà un livre de l’universitaire algérien Smaïl Goumeziane qui retient l’intérêt. Il aide à éclairer de nouveau la situation dans le pays voisin. Au-delà de l’évènementiel de 2019- 2020, il met en perspective une problématique de fond à l’ordre du jour depuis plus de trois décennies. Son hypothèse? L’exigence démocratique ne date pas du hirak 2019; elle remonte aux évènements d’octobre 1988 à Alger, soldés par un soulèvement populaire et des centaines de victimes. Ce spasme a été interrompu par suite de la décennie noire des années 90 de la lutte anti-terroriste contre les islamistes du FIS et du GIA. Mais il a été une opportunité pour instrumentaliser par le «système» l’aspiration de la population à la paix.
Rentier, entre les mains d’une nomenclature affairiste et de l’établissement militaire des généraux, le régime a pu assurer sa résurrection sous l’égide du président Bouteflika depuis 1999 et jusqu’en 2019. La contestation populaire qui a été globale depuis deux ans marque sans doute le pas par suite de l’impact de la pandémie. Mais l’aspiration la plus profonde n’a pas été altérée: «libérer les Algériennes et les Algériens». Rien de bien nouveau à l’Est, donc.
Le président Abdelmajid Tebboune a été élu voici un an, avec 58% des voix. Il a promis «l’édification d’une nouvelle République, forte et développée» et qu’il sera à l’écoute du peuple pour un changement radical de la gouvernance et le respect des droits de l’Homme. La constitution a été révisée le 1er novembre 2020 avec quelque 23% de suffrages exprimés. Pas de quoi nourrir les ferveurs d’un «véritable changement». puis, le système craque, partout, du côté des hiérarques civils ainsi que de celui des généraux -mises à la retraite, emprisonnement, jugements, règlements de comptes toujours en cours. Suit le décès du patron de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, et la nomination de son successeur, Salah Chengriha, peu consensuel au sein de l’ANP. Enfin, depuis la fin octobre, l’état de santé du président Tebboune, toujours hospitalisé en Allemagne…
Une situation pleine d’incertitudes
Peut-on alors parler de transition d’un système? Personne ne peut sérieusement le soutenir. L’auteur évalue les facteurs et les hypothèques qui ont freiné et blinqué cette évolution éventuelle. Il s’attache aussi à montrer pourquoi une telle impasse. Se sont en effet conjugués «l’autoritarisme, l’embellie pétrolière, le clientélisme et la corruption». Sur quelles bases? Sur fond de compromis, précise l’auteur. Avec quelle piste politique conforter le système rentier? Si le projet radical islamiste s’effondre à partir des années 2.000, la chute des prix pétroliers exacerbe la crise du système et ses fissures politiques.
Pour l’auteur, le «miracle» se produit. Il ne vient pas d’un ultime sursaut du système en place ni du marché mondial des hydrocarbures, mais du réveil du peuple algérien. La mobilisation contestaire de 2019 s’est alors mise en marche. Elle a été pacifique, unitaire aussi; elle a pris en charge un contre-projet global: le changement de tout le système politique, économique et institutionnel. L’étincelle? Le 5ème mandat de Bouteflika qu’il fallait rejeter et récuser. Le hirak s’est alors imposé comme un acteur incontournable de la transition démocratique.
La pandémie actuelle marque sans aucun doute une pause pour le hirak en. L’on ne sait pas si, à terme, une fois le déconfinement opéré, si le mouvement populaire pourra de nouveau être porté par des marches ou d’autres voies et moyens pacifiques. L’Algérie est au ralenti -une situation précaire pleine d’incertitudes majeures dans une séquence de transition mal maîtrisée.