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WISSAM EL BOUZDAINI

Nomination de cinq nouveaux responsables ministériels


A l’évidence, les orogenèses politiques accouchent le plus souvent de souris.

Dans le jargon de la géologie, l’orogenèse correspond au processus par lequel naissent les montagnes, et qui se produit suite à la collision de deux plaques tectoniques. À notre échelle, elle se manifeste notamment par des séismes. Le rapport avec l’actualité? Le 24 octobre 2017, un séisme, celui-là politique, avait frappé le Maroc, avec le limogeage de pas moins de quatre responsables ministériels, à savoir le ministre de l’Éducation nationale, Mohamed Hassad, celui de l’Aménagement du territoire national, Mohamed Nabil Benabdellah, celui de la Santé, El Houcine Louardi, et le secrétaire d’État chargé de la Formation professionnelle, Larbi Bencheikh.

Les quatre responsables, en plus de cinq de leurs anciens collègues dans le gouvernement d’Abdelilah Benkirane (Rachid Belmokhtar Benabdellah, Lahcen Haddad, Lahcen Sekkouri, Mohamed Amine Sbihi et Hakima El Haïti), avaient payé les dysfonctionnements enregistrés dans la mise en oeuvre du programme de développement spatial de la province d’Al Hoceïma, Manarat Al-Moutawassit, qu’avait lancé le roi Mohammed VI en octobre 2015 à Tétouan et dont la réalisation aurait pu aux yeux du Souverain parer au Hirak qui s’est suivi de la mort du poissonnier Mohcine Fikri.

Mais ce n’est pas tant cette décision, qui tout compte fait est déjà survenue dans l’histoire du Maroc indépendant -six ministres furent carrément emprisonnés en décembre 1972 pour corruption-, qui avait marqué les esprits, que les propos utilisés pour l’étayer, puisque le communiqué du Cabinet royal l’ayant officialisée renvoyait à la nouvelle politique d’application du principe de corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes proclamé lors du dernier discours du trône le 29 juillet dernier et réitéré au parlement le 13 octobre. En d’autres termes, le Roi était bien décidé à sévir. «Nous ne critiquons pas pour le plaisir de critiquer, tout en laissant les choses en l’état,» avait-il d’ailleurs averti les parlementaires.

Ce rappel s’imposait dans la mesure où le contraste est saisissant entre ces coups d’éclat marqués du sceau du Palais royal et les nominations ce 22 janvier, portant indéniablement la patte du chef du gouvernement Saâd Eddine El Othmani, des suppléants respectifs de MM. Hassad, Benabdellah, Louardi et Bencheikh, à savoir Saïd Amzazi (Éducation nationale), Abdelahad Fassi Fihri (Aménagement du territoire national), Anas Doukkali (Santé) et Mohamed Gherras (Formation professionnelle), en plus de Mohcine Jazouli, désigné au tout nouveau poste de ministre délégué chargé de la Coopération africaine (voir l’article de Mustapha Sehimi, pages 22- 25). Non bien sûr que ces personnalités manquent de compétence, puisque de toute façon le bénéfice du temps devra leur être accordé, mais tout compte fait il ne s’agit que d’un remplacement numérique, comme s’il s’agissait d’un vulgaire match de football où il fallait substituer un joueur blessé par un autre joueur du même poste (les portefeuilles sont d’ailleurs restés aux mains des mêmes partis).

Pourtant, au regard du discours porté par le Roi ces derniers mois, on pouvait croire à un véritable remaniement, d’autant plus que M. El Othmani a pris près de trois mois pour trouver ses nouvelles têtes. Mais il ne s’agissait décidément pas là de géologie -nous y sommes donc-, ni d’ailleurs de football, où il arrive communément aux coachs de changer de stratégie si la leur ne s’avère pas effective. A l’évidence, les orogenèses politiques accouchent le plus souvent de souris.

Nous en sommes donc à une situation peu tenable sur le long terme où le Palais, d’une part, insuffle les réformes et veut faire avancer le pays à vitesse grand V, mais sans d’autre part, par respect au choix démocratique que les Marocains ont fait leur en juillet 2011 ainsi qu’au principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs, pouvoir aller lui-même au charbon: pour que la tectonique prenne, il faut cependant que les plaques dansent au même rythme...

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