TOUS COUPABLES

Condamnation de Hajar Raissouni à un an de prison

À L’ANNONCE DU VERDICT LE CHOC ÉTAIT DE MISE AU SEIN DE LA CORPORATION ET PARMI TOUS LES MAROCAINS.

Qu’il semble loin le 31 août 2020. Cette date, c’est celle où la journaliste Hajar Raissouni doit recouvrer sa liberté après avoir été condamnée pour «relations sexuelles hors mariage» et «avortement illégal». À l’annonce du verdict, ce lundi 30 septembre, le choc était de mise au sein de la corporation et, plus généralement, parmi tous les Marocains pour qui la liberté d’expression est une chose sacrée. Car dire que le procès de Mme Raissouni a été strictement pénal, comme certains le maintiennent encore ici et là, est difficilement croyable. Le pire dans l’histoire est que la jeune journaliste, qui fête cette année ses 28 ans, n’est peut-être même pas coupable des «délits » dont on l’accuse: la défense du Dr Mohamed Jamal Belkeziz, condamné au passage, lui, à deux ans de prison ferme et professionnellement sans doute à jamais détruit, a fait une démonstration à partir des propres preuves du parquet et qui tend à écarter complètement l’éventualité d’une IVG dans un passé récent.

Ici s’entremêlent différents niveaux de lecture. C’est, peut-être, parce que je suis en dernier ressort un journaliste que c’est la qualité professionnelle de Mme Raissouni qui a le plus retenu mon attention. En tant que tel, je vois un espace de liberté déjà restreint se contracter davantage, même si je dois souligner, soit dit en passant, que même cette marge de manoeuvre ténue je n’en use pas toujours, à titre personnel, à bon escient: à vrai dire, combien de fois ai-je, de mon propre chef, cédé à la médiocrité de l’autocensure, en faisant le calcul de garder sous la main des cartouches qui me seraient, potentiellement, ultérieurement plus utiles. Il y a quelques années, un de mes amis personnels, Hicham Mansouri, s’était retrouvé pendant dix mois en prison, officiellement pour adultère, officieusement, sans doute, en raison de ses activités au sein de l’Association marocaine de journalisme d’investigation (AMJI), dont il n’était pourtant qu’un simple fonctionnaire.

Quelque temps après sa libération, en janvier 2016, je lui avais dit, dans un échange, que tout n’était pas noir et qu’au sein même de l’appareil de l’Etat beaucoup étaient en désaccord avec ce qui lui était arrivé. Aujourd’hui, j’ai la sombre impression d’avoir eu tort. N’étant pas ou plus journalistes, d’autres de nos concitoyens ont préféré s’attarder, eux, sur l’aspect afférent aux libertés individuelles, à l’instar de l’écrivaine Leila Slimani et de la réalisatrice Sonia Terrab, qui sont à l’origine du manifeste des 490 femmes «avouant» avoir enfreint, elles aussi, la loi en ce qui s’agit de relations sexuelles hors mariage: beaucoup auront reconnu le clin d’oeil au manifeste des 343 pour la dépénalisation de l’IVG, publié en avril 1971 dans l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur et qui moins de quatre ans plus tard allait conduire à l’adoption de la loi Veil. Qui ou quoi que nous soyons, nous ne pouvons en tout cas que nous solidariser avec Mme Raissouni.

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