Les touristes nationaux peuvent-ils suffire?

LE TOURISME FRAPPÉ PAR LA CRISE

Les autorités parient pour l’instant massivement sur les Marocains résidant au Maroc pour l’aider à relancer le secteur. Mais il faudra sans doute aussi rester objectif et ne pas trop rêver à un véritable rebond.

En attendant les touristes internationaux, le Maroc choisit pour le moment de capitaliser sur les nationaux. C’est ainsi que vient d’être lancée ce mardi 4 mai 2021 par l’Office national marocain du tourisme (ONMT) l’opération “Ntla9awfbladna”, c’est-à-dire “Retrouvons-nous dans notre pays” en arabe dialectal, avec pour objectif de pousser les Marocains résidant au Maroc à voyager cet été dans leur pays.

Et il faut dire que l’institution dirigée par Adel El Fakir avance en terrain conquis, puisqu’une étude réalisée en amont et sur laquelle ce dernier était justement revenu quelque deux semaines auparavant lors d’une rencontre avec les médias avait révélé qu’environ 60% de la population marocaine s’apprêtaient à profiter de la saison estivale pour partir en vacances loin de chez elle, et ce en dépit de la crise qui frappe un grand nombre de foyers à cause de la pandémie de Covid-19.

Encaisser le coup
“Aujourd’hui et plus que jamais, les Marocains ont envie de voyager et le secteur a besoin d’être stimulé,” a assuré M. El Fakir. Le directeur général de l’ONMT a même confié que ses équipes et lui étaient “convaincus de l’énorme potentiel que représente le tourisme interne pour le secteur au Maroc”, dans la mesure où déjà, ce tourisme “fournit près d’un tiers des touristes” -7,8 millions de nuitées à titre d’exemple en 2019. Selon lui, “à terme: un touriste sur deux pourrait être un voyageur domestique”.

“Au-delà de la construction de la marque et de son cadre stratégique, nous avons soigneusement étudié les attentes de nos concitoyens, pour comprendre leurs besoins et ce qui les motive. Notre ambition avec “Ntla9awfbladna” est de nous adresser à nos compatriotes en les inspirant à découvrir toutes les richesses qu’offre notre pays et en leur rappelant que notre pays a tous les atouts pour répondre à leurs besoins en matière de tourisme,” a également confié M. El Fakir.

Reste à savoir si la campagne ne sera pas maintenant compromise par de nouvelles restrictions de la part des autorités, car il faut rappeler que l’été 2020 déjà on parlait d’une relance du tourisme dès après la fin des cent premiers jours de l’état d’urgence sanitaire, avant qu’au final cette relance ne soit repoussée aux calendes grecques. À cet égard, on peut renvoyer aux derniers chiffres en date de la direction des études et des prévisions financières (DEPF) du ministère de l’Economie qui, le 22 avril 2021, a estimé à 65% la chute des recettes touristiques sur la période s’étalant de mars 2021 à fin février 2021, contre une hausse de 14,1% pendant l’exercice précédent.

Pourquoi cette fois serait-elle donc nécessairement la bonne? Question d’autant plus légitime qu’actuellement l’on parle de nouveaux variants autrement plus contagieux que la souche originelle du SARS-CoV-2, le virus responsable de la Covid-19, et qu’à tout moment on pourrait donc se retrouver dans une situation sanitaire pire que celle qui à la base avait valu au Maroc la déclaration de l’état d’urgence sanitaire.

Nombreux sont d’ailleurs les professionnels à se poser cette interrogation depuis ce qui s’était notamment passé fin mars 2021 à Dakhla, où après le recensement d’une quarantaine de cas du variant britannique la ville saharienne avait tout bonnement été mise en quarantaine. Et à se demander si des mesures similaires étaient prises ailleurs, le tourisme local parviendrait encore à encaisser le coup.

De fait, il faudra faire en sorte que le secteur continue d’être accompagné, lui qui rappelons-le contribuait avant la Covid-19 à 7% du produit intérieur brut (PIB) national. Et cela pas seulement au plan économique, où il faut certes souligner l’effort de l’État pour continuer à faire bénéficier depuis plus d’un an pas moins de 54.000 travailleurs des indemnités de chômage temporaire, mais aussi au niveau structurel, de sorte à le rendre plus résilient.

Une expertise avérée
À ce propos, il y a lieu de faire référence aux dispositions du contrat-programme signé le 6 août 2020 entre les pouvoirs publics et les représentants du tourisme national et qui, entre autres, mettaient l’accent sur le fait de faire bénéficier les projets existants, en cours et nouveaux de l’accompagnement d’un véhicule d’investissement dédié au secteur (mesure 12) ainsi que sur l’appui à la compétitivité et à la transformation des acteurs à travers le dispositif dédié “Inmaa Tourisme” (mesure 13).

En échange, les professionnels s’étaient engagés à proposer des projets, nouveaux ou existants, structurés et économiquement viables mettant à contribution une expertise avérée dans le secteur, favorisant l’emploi, l’innovation et participant à la diversification de l’expérience touristique. Ledit contrat-programme s’était, par ailleurs, également attardé sur des mesures transverses telles que celle de “mettre en place un dispositif de gouvernance de crise et des outils de pilotage adaptés en partenariat avec les professionnels du secteur et les différents partenaires institutionnels” (mesure 19) ou encore d’“accélérer le déploiement des réformes et [de] moderniser le cadre juridique et normatif” (mesure 20).

Mesures transverses
Mais quoi qu’il en soit, il faudra, fatalement, bien que les arrivées internationales reviennent pour que le secteur puisse véritablement se remettre d’aplomb, le tourisme national n’étant à lui seul aucunement en mesure de suffire. Or même si M. El Fakir, toujours au cours du point presse mentionné plus haut, avait fait part de l’intention de l’ONMT d’agir dans ce sens, et même si le contrat-programme lui-même parle de “renforcer les efforts de promotion de la destination Maroc à l’international à travers la consolidation des partenariats avec les tours opérateurs et les compagnies aériennes” (mesure 17), il n’en reste pas moins que la partie est loin d’être gagnée.

D’un côté, il y a le fait que les frontières avec une liste non négligeable de pays demeurent fermées, dont des marchés traditionnels comme la France, l’Espagne ou le Royaume-Uni. Et de l’autre, dans ces marchés mêmes, on trouve des citoyens qui pour beaucoup sont en ce moment en difficulté financière, n’ont pas forcément la tête à voyager, et même s’ils l’avaient ils pourraient non que cela soit une surprise se retrouver bloqués au Maroc.

Sans parler bien évidemment du vaccin, aussi indisponible au Royaume qu’il l’est dans la majorité des pays du monde, et qui peut-être ne doit laisser espérer le retour des touristes d’ailleurs qu’à partir de 2022, au mieux. Pour ainsi dire, le tourisme national n’est pas encore sorti de l’auberge, mais les touristes nationaux peuvent ceci dit l’aider un tout petit peu plus à faire le plein d’oxygène...

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