TOUCHE PAS À NOS JUIFS

NOUREDDINE JOUHARI

Une proposition de loi visant à déchoir de leur nationalité les Juifs du Maroc établis dans les colonies israéliennes. Un projet irréalisable.

Tout comme le sujet qu’il aborde et les multiples lectures qu’il véhicule, il était normal que ce projet de loi suscite autant d’attention que de crainte. Dans les travées du parlement, on tend une oreille inquiète, en silence.

De quoi s’agit-il, au fait? D’une proposition de texte de loi qui devrait être soumise à la Chambre des représentants par le Parti authenticité et modernité (PAM) pour «la déchéance de la nationalité aux juifs marocains installés dans les colonies israéliennes». Déchéance, un terme si lourd de contenance et de conséquences qu’il ferait tiquer un sourd-muet.

Même si elle ne compte plus que quelques milliers de familles bien ancrées, la communauté judéo-marocaine résidant au Maroc a réagi de toutes ses structures organisées ici même et un peu partout dans le monde. Celui qu’on attendait le plus a été effectivement le premier à s’exprimer sur le sujet. Serge Berdugo, secrétaire général du Conseil de la communauté israélite du Maroc, a pointé l’impossibilité de mener une enquête en Israël pour le compte du législateur marocain, permettant de connaître l’identité et l’origine des habitants des colonies dans les territoires occupés par l’État juif depuis la débâcle arabe de 1967.

Une équipée qui exigerait la collaboration de l’administration israélienne. Le primat des Juifs du Maroc conclut à une «absurdité» conjuguée à une «aberration mentale». Difficile de soutenir l’inverse, sur un plan strictement opérationnel. Sam Benchetrit, président de la Fédération mondiale du judaïsme marocain, a publié un communiqué qui s’adresse aux dirigeants du PAM en ces termes. «Au nom de la Fédération, qui regroupe 23 organisations et associations, et au nom de ses 101 sections en Israël et à travers le monde, nous élevons une protestation suite à la déclaration d’intention du député Ilyas El Omari de présenter une proposition de loi au Parlement visant à déchoir de leur citoyenneté marocaine tous les originaires du Maroc résidant en Cisjordanie ».

Reste à savoir de quelle source, autorisée ou pas, relève cette initiative quelque peu abracadabrante. Au commencement de ce labyrinthe à peine imaginaire, d’exploitation de la visite, les 27 et 28 décembre 2017 au Maroc de Khaled Mechâal, dirigeant du Hamas palestinien. Bien qu’invité par le PJD, l’ancien leader du Hamas a accepté une rencontre avec les dirigeants du PAM représentés par Ilyas El Omari, secrétaire général, et Mohamed Chrourou, chef du groupe PAM au parlement. Ces derniers auraient annoncé à M. Mechâal le projet de loi qui consiste à déchoir de sa nationalité tout Juif marocain établi dans les colonies israéliennes.

On quitte le Maroc pour Paris, où Ilyas El Omari a rendez-vous, jeudi 11 janvier 2018, avec un certain Simon Skira, secrétaire général de la Fédération des Juifs du Maroc. Il assure à son interlocuteur que la proposition de loi en question ne sera pas présentée au parlement. Au terme de ce tourbillon de contacts et d’annonces contradictoires, on ne sait plus qui parle de quoi au nom de qui et à partir de quel lieu de responsabilité.

S’il est une vérité historique établie, c’est celle de ces Juifs, classés au bas de l’échelle sociétale israélienne qui sont les victimes de la propagande du sionisme international; mais aussi d’un grave calcul politicien, côté marocain, dans les années 50 et 60 du siècle dernier.

Depuis, le Maroc n’a cessé de lancer des invites à ces Juifs marocains d’Israël, pour prendre le chemin du retour à leur terre d’accueil millénaire. Il y a eu certes un regain d’intérêt pour ce Maroc des ancêtres, mais juste pour des fêtes religieuses et le recueillement sur les tombes des rabbins qui ont marqué leur époque. Le flux touristique intarissable souhaité par le Maroc ne s’est pas produit. Mais la normalisation avec Israël, sous couvert d’intérêts économiques bien compris, est en marche de façon pernicieuse mais réelle. Et malgré les dénonciations des associations de la société civile.

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