En proposant du prêt-à-porter aux consommateurs marocains à des prix très bas, cette plateforme de commerce en ligne affecte lourdement les activités des textiliens marocains. Plusieurs entreprises du secteur risquent d’en pâtir.
Les professionnels du textile filent un mauvais coton. Et c’est loin d’être une simple métaphore. Depuis plusieurs mois, ils font face à une forte concurrence exercée par une plateforme chinoise de commerce en ligne de vêtements prêtà- porter principalement pour femmes. Son nom, Shein Maroc. Magasins de commerce, franchises, malls… Tous subissent les coups de ce site, qui visiblement, les bat à plate couture grâce à une stratégie inédite, importer des commandes à bas prix. «Ce site importe des articles via des commandes en ligne. Des commandes qui sont exonérées de taxes douanières lorsque le montant de l’achat ne dépasse pas le seuil des 125 dollars (environ 1.200 dirhams).
Or, 90% des articles importés par ce site en ligne sont en deçà du seuil des 1.200 dirhams», explique un professionnel du secteur. Mieux, selon lui, chaque commande en ligne bénéficie automatiquement de remises de prix variant entre 10 et 18%, et pouvant même aller jusqu’à 20%. Et pendant ce temps-là, les opérateurs marocains du textile doivent payer plus de 40% de taxes et impôts ainsi qu’une TVA de 20% sur les articles importés. Un désavantage qui leur porte gravement préjudice, contrairement à leur concurrent, qui échappe aux mailles du fisc et des douanes.
Pour en savoir un peu plus, nous décidons de surfer un peu sur ce site. Et à notre grande surprise, on y retrouve de nombreux produits vendus à des prix dérisoires, parfois en deçà des 50 dirhams. Pour échapper aux taxes, certains consommateurs utilisent une technique très rusée: commander plusieurs fois un panier de 1.200 dirhams. Spécialisée dans le commerce de vêtements pour femmes, cette plateforme, filiale de la société internationale Shein, propose également des vêtements pour hommes et pour enfants, des accessoires, chaussures, sacs et d’autres articles de mode. Cette marque, créée en 2012, cible principalement l’Europe, les Etats-Unis, l’Australie, et le Moyen- Orient et revendique des activités qui couvrent 150 pays dans le monde. Sa philosophie: «tout le monde peut profiter de la beauté de la mode».
Prix dérisoires
D’après des professionnels du textile de l’habillement qui qualifient cette pratique de «contrebande déguisée», ce portail d’e-commerce a actuellement le vent en poupe. Il est devenue, en quelques semaines, le premier site de vente en ligne et le premier fournisseur de produits textiles au Maroc avec 80.000 transactions commerciales réalisées, un mois après son lancement. Cette concurrence affecte lourdement les entreprises, qui enregistrent d’importantes baisses de leurs chiffres d’affaires et une migration de leur clientèle vers ce site qui propose des prix sur lesquels ils ne peuvent pas s’aligner. «Cette plateforme d’e-commerce est en train d’asphyxier, voire tuer tout un écosystème de l’industrie locale», alertentils. Ils redoutent d’ailleurs un risque de faillite de plusieurs d’entre elles, particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME), dans ce secteur qui polarise pas moins de 1.628 sociétés et qui emploie 189.000 personnes.
Cette situation, les acteurs de l’habillement s’en seraient bien passés. Eux qui subissent déjà une forte concurrence des produits chinois et qui essayent de recoller les morceaux après les affres du Covid-19. Sans oublier la baisse des exportations vers l’Union européenne à cause de cette pandémie.
Que dire des produits turcs, qui gardent leur attractivité auprès des clients marocains depuis plusieurs années? Mais, pour ce cas de figure, une solution a été trouvée avec la mise en place d’une mesure de sauvegarde préférentielle sur les importations turques en vigueur depuis 2018. Objectif: protéger les producteurs locaux face à cette menace. Arrivée à échéance le 3 décembre 2021, elle a été prorogée jusqu’au 31 décembre 2022. Ces «Made in Turkey» sont soumis à des taxes douanières équivalant à 90% du droit d’importation applicable dans le cadre du droit commun.
Une des clauses de l’ Accord de libre-échange Maroc-Turquie, publié au Bulletin officiel du Royaume le 13 mai 2021, qui concerne plus de 1.200 produits. Selon Fatima-Zohra Alaoui, directrice générale de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH), cette décision a permis de baisser fortement les importations de vêtements en provenance d’Istanbul. Reste à résoudre le cassetête chinois.