EN ALGÉRIE, LE MAROC ENCORE AU COEUR DE LA CAMPAGNE ÉLECTORALE PRÉSIDENTIELLE

Tebboune, pas Tebboune, du pareil au même !

Le Maroc aura été au centre de la campagne électorale présidentielle algérienne dont les résultats seront annoncés ce samedi 7 septembre 2024. Il a été présenté comme « un ennemi extérieur » par les trois prétendants à la présidence dont le favori de la junte militaire, Abdelmajid Tebboune, à défaut de vrais programmes électoraux.


Plus de 24 millions d’électeurs algériens éliront ce samedi 7 septembre 2024 leur président. La campagne électorale, morne, sans saveur et sans suspense, a pris fin quatre jours plus tôt. Trois candidats étaient en lice, les seuls retenus par l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) parmi seize prétendants. A la tête de ce trio, le président sortant Abelmadjid Tebboune, âgé de 78 ans, brigue un deuxième mandat.

C’est, incontestablement, le grand favori. On trouve aussi Abdelali Hassani Cherif, 57 ans, candidat du Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui jouit d’une certaine notoriété dans les milieux conservateurs et islamistes, et Youcef Aouchiche, 41 ans, premier secrétaire national des Front des forces socialistes (FFS), le plus vieux parti d’opposition dont le fief traditionnel se situe en Kabylie, créé par le leader Houcine Ait Ahmed, un des leaders de la révolution algérienne pour l’indépendance, décédé le 23 décembre 2015.

Scénario échevelé
On l’aura compris, dans un contexte politique verrouillé, gouverné par la peur d’une guerre civile ou d’un risque pesant venant de l’« ennemi extérieur » (ndlr, le Maroc), les deux autres candidats jouent un rôle de figurant pour imprégner le scrutin d’un minimum de crédibilité aux yeux des observateurs étrangers et de la communauté internationale. Sur le plan interne, ce pouvoir aux abois craint plus une faible participation aux élections qu’une insurrection.

Le système politicio-militaire algérien a usé, une fois encore, comme pour les précédentes échéances présidentielles et législatives, de la peur et de la manipulation pour convaincre bon gré mal gré une frange des électeurs sceptiques ou terrorisés d’y participer.

La preuve ? Voici un synopsis haletant qui a été créé de toutes pièces sur fond de communications mensongères. La veille de la fin de la campagne électorale, dimanche 31 août, le Parquet de la ville de Tlemcen annonce l’arrestation de trois ressortissants marocains pour espionnage. Ceux-ci, selon la version officielle, faisaient partie d’un réseau de 6 personnes, dont 3 Algériens qui eux aussi seraient des espions, qui planifiait de porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Quelques heures plus tard, Abdelmajid Tebboune et « son général » Chengriha président une réunion du Haut conseil de sécurité.

Toute une mise en scène pour dire que cette arrestation était d’une importance capitale et que le danger était élevé et imminent. Le démantèlement de ce réseau intervient après l’arrestation d’un Marocain entré illégalement sur le territoire algérien, « où des ressortissants marocains et des citoyens algériens étaient recrutés dans le but de porter atteinte aux institutions sécuritaires et administratives algériennes », ajoute le Procureur près le Tribunal de Tlemcen, Mustapha Loubar, dans une conférence le même jour. Et pour lier les deux événements concomitants, le procureur explique que les présumés espions incarcérés « recevaient des instructions de la part du dénommé B.S., de nationalité marocaine, dans le but de déstabiliser le pays ».

Ce scénario est le pire de tous les films d’espionnage de Bollywood. Se sentant déstabilisé et surtout affaibli plus que jamais de l’intérieur, le régime algérien renoue en quelque sorte avec les pratiques de la décennie noire des années 1990, dans sa sale guerre contre le Groupe islamique armé (GIA) qui a fait 150 000 morts.

L’homme qui a orchestré cette opération imaginaire est le général Abdelkader Haddad, alias Nacer El Djen, ancien chef du centre principal opérationnel des services secrets dans les années 90, devenu patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Pendant la campagne électorale, il a arrêté voire enlevé plusieurs opposants politiques. C’est le cas, notamment, de Fethi Ghares, 49 ans, militant connu de l’opposition de gauche et ancien coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS, interdit depuis 2023), qui a été interpellé de manière arbitraire par des agents du renseignement en civil dans la matinée du mardi 27 août 2024.

Au Palais d’El Mouradia, les élections présidentielles sont une question de vie ou de survie. On craint que le scénario catastrophe des élections présidentielles de 2019 ne se reproduise : une abstention record et un nombre important de votes blancs. Seuls 39,93 % des inscrits ont voté. En Kabylie, région frondeuse où des manifestations ont eu lieu le jour même du scrutin, le taux de vote avoisinait zéro. Ce taux demeure le plus faible de toutes les présidentielles de l’histoire de l’Algérie.

A l’époque, les autorités algériennes avaient empêché les envoyés spéciaux et les correspondants des journaux et des chaînes de télévision étrangères de suivre les élections.


Un appel désespéré au vote
Aujourd’hui, à la veille des présidentielles anticipées de septembre 2024, le régime a tout fait pour convaincre les Algériens de ne pas déserter les urnes. Les trois candidats n’ont pas tari d’arguments pour inciter un peuple désabusé à venir voter. Ils avaient deux consignes strictes : tout faire pour encourager les électeurs à venir voter et pointer du doigt le Maroc comme un ennemi menaçant la stabilité et l’unité du pays.

S’il était donné d’emblée gagnant de ces élections, il faut dire que le choix des concurrents de Tebboune était tout de même un peu réfléchi. Un candidat FFS est fort symbolique pour le régime. Ce parti est ancré dans une Kabylie frondeuse et abstentionniste, bien qu’il soit publiquement anti-Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK). Depuis 25 ans, ce parti participe pour la première fois aux élections présidentielles. Pour Youcef Aouchiche, cela répond « aux exigences de préservation de l’Etat nation et de renforcement des institutions de la République » et vise à « barrer la route à ceux qui cherchent à nuire au pays ». Des propos qui trahissent la volonté de la junte militaire d’agiter chaque fois que nécessaire l’épouvantail d’une guerre civile et de tentatives des kabyles de déstabiliser le pays. Les deux autres prétendants ont joué une autre carte de la peur, celle de l’« ennemi extérieur », faisant allusion au Maroc.

Mensonges systématiques
Le candidat du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abdelaali Hassani Cherif, a déclaré lors de sa campagne à Ouargla, au sud de l’Algérie, que « l’entité sioniste, après s’être installée à la frontière algérienne avec le Maroc, planifie de s’établir à la frontière Est de l’Algérie à la demande de parties hostiles » (édition du 31 août 2024 de la chaîne algérienne AL24 News). Du « Maroc-Israël » au « Maroc-Sahara » ! A Oran, le 26 août, Tebboune, en tenue sahraouie, a réitéré son appui au polisario au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Il a tambouriné que l’Etat sahraoui fantoche sous la direction du Polisario finira par voir le jour. «Nous n’abandonnerons pas le Sahara occidental et la République sahraouie. L’Etat sahraoui sera une vérité», a-t-il martelé. « Nous (l’Algérie) restons debout, et tôt ou tard, le Sahara sera libéré», a-t-il ajouté.

A Djanet, il a souligné l’engagement de l’Algérie à « entretenir de meilleurs relations avec les Etats frères du Niger, la Libye et le Mali », prête « à défendre le Niger contre toute agression extérieure ». Ces propos sont loin d’être anodins. La réponse favorable et rapide (23 décembre 2023) du Niger, du Mali, du Tchad et du Burkina Faso à l’annonce par le Roi Mohammed VI du projet d’accès à l’Atlantique des pays enclavés du Sahel, le 6 novembre 2023, a pratiquement coïncidé avec des déboires sans précédent de la diplomatie algérienne dans la région. Le 25 janvier 2024, le gouvernement de transition malien annonce sa sortie des accords d’Alger sur la paix au Mali, signés en 2015. Le Niger rejette la médiation d’Alger que les autorités militaires maliennes accusent Alger de s’ingérer dans les affaires intérieures de leur pays. L’on comprend bien l’amertume d’Alger et l’on comprend -un peu moins- pourquoi ces messages ont été glissés dans l’un des discours de campagne du président sortant.

Il était clair que Tebboune n’était pas convaincant, encore moins convaincu par ses propos. Mais il tentait le tout pour le tout surtout que plus personne ne croit en ses promesses fictives de redressement de la situation économique et sociale de l’Algérie. Le Maroc, ce voisin « comploteur », un leitmotiv qui constitue le gros des discours du président Tebboune depuis son investiture en 2019, est un alibi pour faire oublier, momentanément, la crise interne. Aux problèmes internes, à l’inflation galopante et à la rareté des denrées alimentaires élémentaires (eau, lait, lentilles…), il a proféré encore des promesses non étayées sur un programme qui détaille le financement et la stratégie d’implémentation sur le terrain.

Il a évoqué la situation économique du pays en avançant que « la Banque Mondiale et le FMI » soutiennent que le PIB (le produit intérieur brut de l’Algérie) s’élèvera en 2027 à 400 milliards de dollars. Il a poursuivi sa surenchère en déclarant que l’Algérie est « actuellement la deuxième puissance économique de l’Afrique et la 3ème puissance économique mondiale ». Autant de futilités et de divagations qui en disent long sur l’allégeance aveugle de Tebboune à la junte militaire qui lui dicte ce qu’il a à dire.

Le Maroc, cible de dénigrement perpétuel
Au lieu de discuter de programmes avec des objectifs chiffrés et une vision claire, les élections présidentielles en Algérie se sont focalisés sur le Maroc et le danger que représenterait ce voisin de l’Ouest au regard de ses alliances avec Israël et les Etats-Unis et les nouvelles positions de la France, de l’Espagne et de l’Allemagne vis-à-vis du dossier du Sahara et du plan d’autonomie marocain qui fait presque l’unanimité sur la scène internationale.

Pourquoi donc ? Il faut se demander d’abord pourquoi les responsables algériens vouent une haine viscérale au Maroc ? La réponse a toujours été si évidente : le système politico-militaire algérien puise sa légitimité dans un discours anti-marocain où le voisin est une menace d’instabilité permanente.

Après la rupture des relations diplomatiques, actée le 24 août 2021, suivie de l’interdiction (le 22 septembre 2021) de survoler son espace aérien aux avions marocains civils et militaires, l’Algérie a cessé l’approvisionnement du Maroc en gaz naturel via le gazoduc Maghreb-Europe le 31 octobre de la même année. Depuis, les manoeuvres et les machinations tout autant que les attaques verbales fusent de partout.

Cela démontre que ce système politico- militaire, dont la colonne vertébrale est l’Armée nationale populaire (ANP), trinque. Il ne parvient pas à faire taire une opposition de l’intérieur comme de l’extérieur et une contestation populaire, à museler une population Kabyle aspirant à l’autodétermination, à convaincre des jeunes chômeurs aspirant à une vie meilleure et une population écrasée dans sa majorité par la hausse des prix et la pénurie des aliments de base. L’Etat algérien est désormais incapable d’estomper une crise sociale sans précédent ou d’importer tous les besoins en alimentation et en équipements des Algériens, à cause d’une baisse des rentrées de sa rente (hydrocarbures).

Pour la junte militaire, incapable d’étouffer la contestation comme par le passé, pas question d’abandonner la thèse de l’« ennemi extérieur » (le Maroc) qui lui a toujours servi à légitimer le renforcement de l’institution de l’armée et de son armement.

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