Soufiane El Bakkali entre dans la légende

L'athlète marocain sacré champion du monde à Eugene

Champion olympique en titre, Soufiane El Bakkali vient de réaliser le doublé en remportant la médaille d’or des 3000 steeple aux Mondiaux d’Eugene, aux États-Unis. L’enfant de Fès marque l’histoire du sport mondial, et scelle son statut de légende au Maroc.

Il est 2h30 du matin passées de quelques minutes, ce mardi 19 juillet 2022. Des milliers de Marocains défient le sommeil pour une seule et même cause: suivre leur nouveau héros national, Soufiane El Bakkali, qui dispute dans quelques secondes la finale de l’épreuve des 3000 mètres steeple aux Championnats du monde d’athlétisme qui se tiennent à Eugene dans l’État de l’Oregon, au nord-ouest des États-Unis. Champion olympique à Tokyo le 2 août 2021, le coureur de 26 ans se présente ici, presque un an plus tard, comme le grand favori, avec comme objectif de confirmer la révolution qu’il mène depuis quelques années face l’hégémonie des athlètes kényans sur cette discipline, qui dure depuis presque trois décennies maintenant.

Une dizaine de minutes plus tard, à 2h40, Soufiane El Bakkali entre un peu plus dans l’histoire. Après avoir patienté à l’affût du quatuor de tête durant toute la course, le natif de Fès a fait encore une fois parler sa technique, en déclenchant un sprint dévastateur à 600 mètres de la ligne d’arrivée. Ses deux poursuivants, le vice-champion olympique, l’Éthiopien Lamecha Girma, et le champion du monde, le Kényan Conseslus Kipruto, n’ont d’autre choix que de constater les dégâts face à un El Bakkali injouable. Ce dernier file seul sur l’ultime ligne droite, alors qu’un sourire commence à se dessiner sur son visage. L’athlète marocain est assuré d’être le nouveau champion du monde. Le monde vient d’assister à un remake de la finale olympique des 3000 mètres steeple à Tokyo un an auparavant. Une véritable masterclass d’athlétisme. Une explosion de joie au Maroc, qui remporte sa première médaille d’or aux Mondiaux d’athlétisme depuis Jawad Gharib et sa victoire à l’épreuve du Marathon à Helsinki, en 2005.

Un don naturel
“Je n’aurais pas accepté autre chose que l’or lors d’une compétition pareille”, déclare El Bakkali au micro de la chaîne publique marocaine Arryadia juste après son sacre. Des propos qui marquent l’évolution continue que connaît le jeune sportif marocain aussi bien au niveau sportif que mental. Soufiane El Bakkali est définitivement sur le toit du monde, et il sait qu’il a tout pour pouvoir assumer son statut de favori. Révolus donc sont les temps où l’athlète issu du quartier populaire d’El Merja, dans la capitale spirituelle, n’était qu’un outsider face à la domination kényane. “C’est une soirée magnifique, un exploit exceptionnel qui restera gravé à jamais dans la mémoire des Marocains. Il a réussi là où d’autres grands coureurs ont échoué: mettre fin à la suprématie des Kényans, Éthiopiens et Érythréens dans cette discipline”, affirme Naoual El Moutawakil, médaillée d’or aux JO de Los Angeles 1984 et légende du sport au Maroc.

Après l’argent à Londres en 2017 et le bronze à Doha en 2019, le champion marocain réalise enfin le très précieux doublé JO/Mondiaux que seuls les grands noms de l’athlétisme ont pu réussir. Soufiane Bakkali est d’ailleurs le premier athlète non-kényan de l’histoire à accomplir cet exploit dans la discipline des 3000 steeple. Cette victoire a un caractère encore plus historique et inédit, d’autant que le Kenya s’est accaparé l’or dans cette discipline aux Mondiaux depuis 2007 jusqu’à la précédente édition de 2019. Ce pays de l’Est de l’Afrique et grande puissance d’athlétisme dans le monde, n’a laissé filer que quatre titres sur un total de 17 éditions, depuis leur lancement en 1983. Une domination encore plus visible dans les JO puisque le Kenya a raflé l’or au 3000 steeple depuis l’édition de Moscou 1980 jusqu’à Rio 2016, avant que cette série surréaliste prenne fin en 2021 grâce à Soufiane El Bakkali !

Mais de Fès à la suprématie mondiale, le jeune athlète a dû batailler et faire des sacrifices. Des efforts acharnés, des entraînements interminables pour se perfectionner, accompagné d’un entraîneur, Karim Tlemçany, qui a choisi de croire en son protégé et a su l’accompagner jusqu’au sommet. “La première chose que je fais après chaque sacre, c’est me diriger vers lui pour l’enlacer”, révèle El Bakkali, après sa récente victoire. “Ce geste reflète des années de travail. J’ai totalement confiance en lui. C’est comme un frère, un père et un ami pour moi. C’est ce qui me permet d’être à ce niveau-là”, poursuit-il. Une connexion fascinante qui remonte à 2007, lorsque Karim Tlemçany détecte le potentiel remarquable d’un nouveau membre du Fès Country Club, nommé Soufiane El Bakkali, alors âgé de 12 ans. L’enfant a été sélectionné au côté de quelques dizaines d’autres jeunes talents, parmi 4.000 enfants de Fès qui ont passé plusieurs tests. Depuis, le talentueux coureur impressionne ses encadrants, par son sérieux, son abnégation et surtout son don naturel.

Soufiane El Bakkali devient vite l’étoile montante de l’athlétisme marocain parmi les jeunes catégories, et rejoint en toute logique l’Académie Internationale d’Ifrane. Trois ans plus tard, le jeune athlète, alors âgé de 20 ans seulement, se lance dans sa toute première grande expérience: les JO de Rio 2016. Trahi par son manque d’expérience, il échoue au pied du podium. Une médaille ratée de tout près, mais beaucoup d’acquis solides sur lesquels le Marocain va par la suite bâtir son succès. Car depuis, il ne quitte plus les podium des principaux rendez-vous: de l’argent et du bronze lors des Mondiaux de 2017 et 2019 respectivement, et surtout de l’or aux JO 2020, avant d’enchaîner avec cette victoire aux Mondiaux de 2022. “L’objectif, maintenant, consiste à remporter la Ligue de diamant que j’ai perdue quatre fois consécutive, et surtout garder le même niveau”, affirme Soufiane El Bakkali. Une rage de vaincre qui permet à celui-ci de prétendre à une place dans le panthéon de l’athlétisme marocain, aux côtés des Hicham El Guerrouj, Said Aouita, Naoual El Moutawakil, Khalid Sekkah, et plusieurs autres légendes.

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