Comment sortir de l'industrialisation dépendante?

INSERTION DU MAROC DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Malgré le fait que la politique industrielle du Maroc visant un fort développement des exportations dans de nouveaux métiers a porté ses fruits, la part de l’industrie manufacturière dans l’ensemble des activités marchandes n’a pas progressé en termes de valeur ajoutée.

Quelles implications du mode d’insertion du Maroc dans l’économie mondiale sur sa croissance et sur son développement? Ce questionnement a fait l’objet d’une étude réalisée par la Direction des études et des prévisions financières (DEPF), avec le soutien du Policy Center for the New South (PCNS). Étude élaborée à partir d’une nouvelle grille de lecture sous la supervision du professeur Bernard Billaudot de l’université de Grenoble. Ont collaboré également à cette étude deux cadres du ministère de l’économie et des finances et qui ne sont autres que Abdelali Attioui, chef de la Division des Modèles de Prévision à la DEPF et Adnane Chafiq, chef de Service des Modèles Economiques à la DEPF, chargé du développement des modèles macro-économétriques au sein de ce service.

Il ressort, notamment de cette étude dense et très bien documentée, trois principaux constats. Le premier est que le rythme de croissance tendanciel du PIB marchand ne s’est pas nettement accéléré dans le cadre du choix de l’ouverture. Le deuxième est qu’après 2013, une fois enregistrés les effets négatifs sur l’économie marocaine de la «crise de 2008» (et ses suites en Union européenne), l’activité marchande non agricole n’a pas connu une nette reprise se poursuivant à moyen terme. Le troisième constat est qu’il n’y a pas eu globalement une dynamique d’industrialisation.

En effet, ces analystes considèrent que les causes de fond de l’insuffisance de la croissance économique au cours de ces dernières vingt années sont à la fois ce qu’ils appellent «une sous industrialisation dépendante» «et un poids encore élevé du monde de production domestique». Pour ce faire, ils procèdent à la prise en compte du tissu productif marocain dans toute sa complexité et des transformations qu’il a connues.

L’histoire longue du Maroc en la matière nous apprend, disent-ils, qu’un véritable tissu industriel, avec sa trame et sa chaîne, s’était constitué dans la région de Casablanca à l’époque du protectorat et qu’il avait continué à se reproduire ultérieurement. La transformation qui a eu lieu, ensuite, tout particulièrement à partir de la fin des années 90 dans le cadre d’une insertion dans le processus de mondialisation économique, se caractérise par une diversification régionale (avec l’émergence du pôle de Tanger) et une déstructuration dont la manifestation est l’absence d’un véritable tissu industriel.

Industrialisation dépendante
Ce faisant, ils considèrent que la première cause de fond de l’insuffisance de la croissance tient à la nature du processus d’industrialisation qui a eu lieu. il s’est agi principalement d’une sous-industrialisation dépendante. Par «sous-industrialisation», les auteurs entendent «un processus qui ne conduit pas à la formation d’un tissu industriel, mais seulement à la juxtaposition d’activités distinctes» qui, situées sur certains segments de chaînes de la valeur mondialisées à faible taux de transformation et faisant appel à une main-d’oeuvre peu qualifiée, réalisent des produits destinés à l’exportation et qui ne trouvent pas localement de fournisseurs compétents pour les consommations intermédiaires qu’elles impliquent, de sorte que ces dernières sont importées, sans parler des biens d’équipement et des services qu’exige l’installation des processus de production.

La «dépendance» tient au fait que, dans «toutes les branches d’activité, d’abord, la part des entreprises qui sont des «sous-traitants » se contentant de fabriquer des produits conçus par un donneur d’ordre «étranger» est importante et, ensuite, les entreprises industrielles qui réalisent en interne de la R&D sont très peu nombreuses.

Donneur d’ordre
Ceci vaut, aussi, pour les entreprises qui ne réalisent pas, exclusivement ou principalement, des produits dédiés à un donneur d’ordre particulier. De ce fait, sauf à acheter des brevets ou à imiter sur la base d’une bonne «intelligence économique», «la compétitivité des entreprises marocaines tenant à la qualité des produits réalisés n’est pas au rendez-vous». Ces entreprises sont toujours en retard et perdent des clients. Cela vaut en particulier pour les produits de consommation.

Par ailleurs, ils considèrent aussi que l’autre cause de fond de l’insuffisance de la croissance tient au poids encore élevé de ce qu’ils appellent «le monde de production domestique ». En prenant en compte les résultats de l’enquête réalisée dans le cadre du programme, appuyé par l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques, «Made in Morocco: industrialisation et développement» auprès d’un échantillon représentatif de près de 600 entreprises de l’industrie manufacturière, ils ont estimé à «un peu moins de 30 le nombre d’entreprises marocaines qui relèvent de façon dominante du monde de production domestique (en 2014)».

Or, les deux principaux marqueurs de ces entreprises sont qu’elles ne font pas appel aux intermédiaires financiers pour le financement de leurs investissements parce qu’elles considèrent qu’elles n’en ont pas besoin et que la modalité de recrutement du personnel est exclusivement le recours au réseau personnel. Le propre de ces entreprises est qu’elles ne visent pas la croissance. On comprend, dès lors, pourquoi la progression de la demande intérieure n’est pas surtout satisfaite par la production intérieure venant de ces entreprises, mais par l’importation.

Accords de co-développement
Suite à ce diagnostic, les auteurs de l’étude de la DEPF ont avancé deux propositions concrètes pour l’avenir du Maroc à moyen terme, en prenant en considération la marge de manoeuvre dont il dispose au sein des contraintes imposées par la mondialisation existante. La première est de faire évoluer les accords de libre-échange déjà conclus vers des accords de co-développement et en conclure de nouveaux dans le même esprit. La deuxième est d’instituer des accords-cadres Étatbranche portant sur les produits à réaliser et les exigences de qualité à respecter.

Ces deux propositions sont intimement liées, selon les auteurs de l’étude, puisqu’il s’agit tout à la fois d’impliquer les responsables d’entreprises dans la négociation des accords commerciaux et de convenir dans ces accords de normes communes concernant les produits exportés/importés, expliquent-ils.

Ils nuancent, toutefois, qu’il ne s’agit pas pour le Maroc de mettre en place des «protections non tarifaires» pour contourner le libre-échange, échapper à ses contraintes, mais de garantir un «bon» développement, en convenant avec les pays avec lesquels des accords sont discutés et conclus que ce souci est partagé.

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