SOMMET ARABE : LE DÉSAVEU D’ALGER

Si cela ne tenait qu’à l’Algérie, nul doute que le Royaume ne trouverait aucune place dans ce qui constitue à ses yeux non seulement un sommet arabe, mais “son” sommet.

Quelle bonne mouche avait bien pu piquer ce 27 septembre 2022 le Gulfstream emprunté par le ministre de la Justice algérien, Abderrachid Tebbi, pour remettre au Maroc une lettre d’invitation au prochain sommet arabe, prévu les 1er et 2 novembre 2022 à Alger? Moins de deux heures après son atterrissage à l’aéroport de Rabat-Salé, l’aéronef avait déjà repris le chemin de la voisine de l’Est, à une vitesse qui selon les sites spécialisés aurait atteint les 948 km/h (!). Tout juste M. Tebbi a-til eu le temps d’être reçu par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et ce sur instructions du roi Mohammed VI, non sans donc laisser songeur vis-à-vis de ce déplacement que l’on savait bien sûr être à la base purement formel mais qui sur le plan des formalités, justement, ne l’a finalement même pas été, voire aucunement. Face à un chef de la diplomatie marocain qui tentait par exemple d’arborer un sourire, certes à l’évidence de façade mais qui semblait se vouloir avant tout courtois, le responsable algérien a maintenu une mine renfrognée, comme si le plissement de ses traits faciaux devait aller de pair avec celui de l’enveloppe dont il était flanqué.

En somme, on était loin, littéralement, du visage d’un pays qui, selon les mots de son président, Abdelmadjid Tebboune, se dit “le mieux placé pour unifier les rangs” arabes (déclaration faite le 30 juillet 2022 aux médias publics de radiotélévision algériens). Selon différentes informations confirmées par Maroc Hebdo auprès de sources diplomatiques, M. Tebbi a également refusé de prendre part au déjeuner que Mohammed VI souhaitait offrir en son honneur. Dans un sens, il va sans dire que ce n’est pas de gaieté de coeur qu’il a été dépêché au Maroc. Si cela ne tenait qu’à l’Algérie, nul doute que le Royaume ne trouverait aucune place dans ce qui constitue à ses yeux non seulement un sommet arabe, mais “son” sommet. Dès novembre 2021, son ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, avait pleinement affiché l’ambition de mettre à profit l’événement pour offrir une tribune au Polisario. Usant d’une pirouette douteuse, il avait même fait de la soi-disant “cause sahraouie” l’équivalent de celle de la Palestine -comparaison que reprend également à l’envi le propre M. Tebboune. Mais c’était faire l’impasse sur la nouvelle configuration régionale, plutôt favorable au Maroc. Les dirigeants des pays du Golfe, notamment, ont immédiatement opposé une levée de boucliers, exprimant clairement dans leurs échanges avec les officiels algériens qu’ils n’avaient nullement l’intention de prendre part à un sommet qui aurait pour principal objectif de nuire à Rabat (d’où la tournée de janvier 2022 de M. Lamamra, suivi de M. Tebboune lui-même le mois d’après, dans la péninsule Arabique).

En même temps, l’Algérie s’est attirée les foudres de l’Égypte, d’abord en voulant s’accaparer, à son détriment, le dossier de la réconciliation des factions palestiniennes -pour en même temps chercher à se présenter comme l’antithèse du Maroc, assimilé à un “affidé” des “sionistes” par ses médias-, puis en s’alliant, dans une logique de constitution d’un bloc africain anti-marocain, à l’Éthiopie, pourtant aux prises depuis plus de dix ans avec le pays de Abdel Fattah al-Sissi au sujet du barrage de la Renaissance. Par voie de conséquence, Le Caire a commencé à entretenir des relations plus cordiales avec le Maroc, illustrées notamment par la visite de quatre jours de mai 2022 du ministre des Affaires étrangères égyptien, Sameh Choukri, au cours de laquelle a été inaugurée la toute nouvelle ambassade d’Égypte.

Last but not least, c’est le rapprochement avec l’Iran qui a sans doute été la goutte qui a fait déborder le vase: beaucoup plus médiatisé au sujet de la Syrie du fait de l’activisme mené au grand jour en faveur de son retour à la Ligue arabe, il est aussi manifeste au Sahara marocain par le biais de la coordination effectuée par Hezbollah interposé pour entraîner militairement les milices du Polisario. Réuni le 9 mars 2022 au Caire, le conseil de la Ligue arabe avait ainsi mis en cause les “ingérences du régime iranien et de son allié le Hezbollah dans les affaires internes du Royaume”, ce qui avait aussi constitué une pique indirecte envers l’Algérie. Celle-ci s’est donc elle-même tiré, au bout d’un déroulement chronologique imparable, une balle dans le pied, et on se retrouve au final bien loin du programme ambitionné un an plus tôt par M. Lamamra. Si, comme l’avait annoncé le 12 septembre 2022 Jeune Afrique, Mohammed VI prenait sur lui de faire acte de présence, cela lui assénerait même le coup de grâce: il deviendra alors encore plus évident que le ver qui ronge le fruit arabe n’est pas à chercher du côté du Bouregreg mais un peu plus à droite sur la carte, précisément à l’endroit vers lequel il n’y a pas si longtemps un certain Gulfstream se dirigeait à toute allure...

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