Siham Benchekroun: "Je me suis largement servie des nombreux clichés de l'univers du développement personnel"


S’essayant pour la première fois à ce qu’elle qualifie de “loufoque”, l’écrivain Siham Benchekroun a voulu dans son nouveau roman tourner en dérision le développement personnel et ceux qui cherchent à l’utiliser comme remède miracle à presque tout.

Avec “J’avais si faim d’amour que je me suis fait des pâtes”, vous revenez à vos amours littéraires mais sous une forme inédite pour vous qui est celle de l’humour. Pourquoi ce choix?
Oui, c’est à un exercice littéraire très différent que je me suis livrée. Le sujet de ce livre -les dérives et dommages collatéraux de l’idéologie du développement personnel- m’intéressait depuis un certain temps mais je n’avais aucune envie de le traiter de manière sérieuse, voire moraliste. Je souhaitais en faire un roman, et que ce roman soit drôle: un livre qui utiliserait le loufoque pour mieux servir la dérision.

En réalité, l’humour est un magnifique outil pour la critique. Je me suis bien amusée et j’espère que mes lecteurs s’amuseront autant. Cependant, ce travail a été très exigeant, parce que j’ai délibérément changé de style, de méthode, de ton, par rapport à mes habitudes d’écriture, tout en gardant de vue l’objectif de dénoncer des abus et des absurdités. C’est ainsi, par exemple, que je me suis largement servie des nombreux clichés et mots-clés de l’univers du développement personnel. Qu’il s’agisse d’ailleurs de notions farfelues ou fondées.

On sait que vous êtes à la base psychothérapeute. Ce roman, cela n’a pas en fait été pour vous un moyen de concilier votre double casquette de femme de lettres et de médecin?
C’est possible, mais en ce cas, cela aurait été un moyen, et non pas un but en soi. Ensuite, le mot “concilier” ne serait pas exact. Je suis à la fois médecin et écrivain, une expérience nourrissant l’autre et vice versa, sans qu’il y ait nécessairement besoin de conciliation. Nous sommes -tous et toujours- plusieurs en un, n’est-ce pas? Nos divers vécus nous imprègnent.

Pour approfondir cette question, je dois reconnaître que ce qui m’a interpellée au départ, c’est que mes consultants usaient de plus en plus des mêmes termes. J’identifiais au fil du temps les mêmes codes, les mêmes références, comme si une sorte de modèle du “bien penser” devenait dominant. En gros, une hypothèse simpliste qu’il suffit de “vouloir pour pouvoir”, et que la seule ambition de la vie est “d’être heureux”, tout le temps et en permanence, indépendamment des ressources et obstacles intrinsèques, de notre environnement, etc.


J’ai également observé, depuis quelques années, une prolifération de stages de toutes sortes promettant par exemple de faire “accéder à sa vérité” (en un week-end), de se “réconcilier” avec soi-même, de “guérir sa lignée”, de retrouver la “puissance de la féminité”, et autres réjouissances. Pour obtenir ces glorieux résultats, il suffit de payer et d’assister; le reste, on vous le fait: on vous transforme, on vous révèle, on vous rend heureux, c’est quand même génial! Force est de reconnaître que le marché est si lucratif qu’il a donné lieu à de vraies foires aux dupes. Lesquelles jettent le discrédit sur des approches qui peuvent par ailleurs être sérieuses et performantes. C’est tout cela qui m’a inspirée.

Le nom de l’héroïne de votre roman, Symi, ressemble tout de même étrangement au vôtre au plan phonétique. Simple hasard?
Complètement! Un joli hasard, de mon point de vue, mais un hasard tout de même. Je ne m’identifie pas à l’héroïne de ce livre et je n’ai pas de motivation à détourner mon nom. Pour satisfaire votre curiosité, je vous avouerai que j’ai emprunté le nom de Symi à la charmante cité où je séjournais lorsque j’ai entamé l’écriture de ce roman. J’avais trouvé ce nom facile, sans connotation particulière, et il m’a inspiré. Ceci étant, allez savoir ce qui se décide dans les mystères du grand univers.

Des Symi, on en connaît presque tous, mais il y a aussi par ailleurs des Symi aussi bien femmes qu’hommes qui se laissent prendre par différentes autres formes de charlatanisme dont la forme seulement change au gré des appartenances socioculturelles. Ce que vous dénoncez au fond, ne serait-ce pas finalement le propre de l’humain et pas seulement de l’époque où nous vivons ?
Il est certain que, depuis la nuit des temps, les hommes et les femmes ont toujours cherché des moyens de conjurer leurs peurs, de se soigner, d’avoir une vie meilleure, plus satisfaisante, ou plus de pouvoir, plus d’argent, plus de sécurité affective. Cela a pu conduire certains à recourir à des pratiques douteuses comme la voyance, la sorcellerie, etc, ou à se livrer à divers gourous, à des sectes. Ce qu’on appelle l’époque New Age, par exemple, à la fin du XXième siècle, a elle aussi “stimulé” dans son sillage de généreuses productions de charlatans. En ce sens, oui, vous avez raison, ce serait le propre de l’humain. Mais l’époque que nous vivons a des particularités très nettes.

L’une des plus évidentes c’est la facilité, la vitesse et l’échelle à laquelle diffusent les messages, les enseignements. Tout un chacun peut se procurer en quelques clics des cours en ligne, des vidéos, des blogs, des podcasts sur des sujets en lien avec le développement personnel. Et les livres envahissent les librairies. Chaque jour, de nouveaux “experts” apparaissent. Certains conférenciers renommés sont très présents sur internet et les médias sociaux. Leurs idées, leurs méthodes, sont largement partagées et suivies par un public mondial.

Tout cela a contribué à la popularité de tous ces discours. Sachant qu’à notre époque, le stress et la pression sociale sont élevés, ce qui augmente “le marché” des gens en souffrance et en demande d’aide. C’est ainsi qu’il se produit un immense “endoctrinement”, virtuel ou livresque, faisant une promotion massive du narcissisme et de l’égocentrisme. C’est un peu la trame de mon roman.

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