Y a-t-il un secret derrière le succès des clubs marocains?

Le football national au plus haut sommet Africain

En à peine douze ans, les clubs nationaux ont réussi à remporter pas moins de huit titres continentaux, dont deux rien que cette année 2022 avec les sacres respectifs du Wydad et de la Renaissance de Berkane en Ligue des champions et en Coupe de la confédération. Une réussite aux raisons multiples mais à laquelle le décideur n’est pas vraiment étranger.

Il y a des faits qui ne mentent pas. Celui de voir deux clubs marocains, en l’occurrence le Wydad de Casablanca et la Renaissance de Berkane, gagner les deux compétitions footballistiques continentales majeures que sont la Ligue des champions et la Coupe de la confédération en est un.

La prochaine Super coupe de la Confédération africaine de football (CAF), qui met aux prises les clubs vainqueurs de ces compétitions et dont l’édition de cette année 2022 doit se tenir début août, sera donc 100% marocaine, ce qui n’est jamais arrivé en vingt-neuf ans depuis son lancement en 1993 -le Wydad avait, soit dit en passant, été finaliste de cette première édition face au club ivoirien d’Africa Sports.

A vrai dire, seuls l’Égypte, à deux reprises en 1994 et 1997, et la Tunisie, en 2008, avaient pu, de la sorte, entièrement draper de leurs couleurs la compétition, ce qui n’est sans doute pas sans en dire long sur la domination actuelle du football marocain à l’échelle africaine, surtout qu’il y a loin d’un exploit isolé: pour ne retenir que la séquence en cours depuis 2010, ce sont aussi le Fath de Rabat, le Maghreb de Fès et le Raja de Casablanca qui ont été, à un moment ou un autre, sacrés.

Au cours de la période concernée, ces derniers clubs ont ainsi tous trois gagné la Coupe de la confédération, le Raja réussissant même à le faire deux fois, en 2018 et 2021, comme d’ailleurs la Renaissance de Berkane, dont c’est le deuxième titre après celui de 2020, alors que le Wydad s’était, en 2017 déjà et comme cette fois, défait du club égyptien d’Al-Ahly en finale de la Ligue des champions (et aurait même pu compter une autre Ligue des champions si ce n’était l’arbitrage catastrophique de la finale de 2019 contre le club tunisien de l’Espérance de Tunis, perdue après que les joueurs du Wydad se sont retirés du terrain à la 60ème minute de jeu en réaction à l’invalidation d’un but pour hors-jeu du Wydadi Walid El Karti et de l’impossibilité d’utiliser le VAR, comme par hasard tombé en panne).

Valorisation des joueurs
Et on pourrait aussi y ajouter les deux triomphes de la sélection locale aux deux dernières éditions du Championnat d’Afrique des nations (CHAN), en 2018 et en 2021. Si l’on dit que le hasard fait bien les choses, il n’en reste pas moins douteux qu’il se manifeste avec autant de régularité, même si, quand on y va au cas par cas, on peut toujours trouver une explication de nature à relativiser le caractère systémique du triomphe actuel du football marocain: en 2010, la victoire du Fath, qui avait aussi cette année gagné la Coupe du trône, avait d’abord et surtout été l’aboutissement du projet de modernisation lancé trois ans plus tôt par son président, qui n’est autre que le secrétaire particulier du roi Mohammed VI, à savoir Mohamed Mounir Majidi, avec par ailleurs la présence sur le banc de touche de l’entraîneur prodige Houcine Ammouta; en 2011, le Maghreb de Fès, qui avait également réussi le doublé Coupe de la confédération-Coupe du trône en y ajoutant même, contrairement au Fath, la Super coupe, avait notamment pu bénéficier des injections d’argent du ponte du transit, Marouane Bennani, pour permettre au futur sélectionneur national Rachid Taoussi de disposer d’une des escouades les plus compétitives du championnat, avec pas moins de huit joueurs internationaux dans l’effectif au moment de remporter le triplé; en 2017, ce sera Ammouta, encore lui, qui mènera le Wydad à la deuxième Ligue des champions de son histoire après celle de 1992, avec aussi, il faut le souligner, les investissements intelligents du président Saïd Naciri, devenu un spécialiste dans la valorisation des joueurs avec pas moins de cinq ventes à un million de dollars ou plus depuis qu’il a pris les commandes fin juin 2014, et il faut dire qu’avec aussi la Coupe des vainqueurs de coupe de 2002 le club rouge reste de toute façon une des valeurs sûres du continent; comme d’ailleurs le Raja, dont les Coupes de la confédération de 2018 et de 2020 n’étaient pas ses premiers titres africains, après notamment la première Coupe de la confédération de 2003 et surtout les Ligue des champions de 1988, 1997 et 1999; enfin, la Renaissance de Berkane serait peut-être toujours aujourd’hui en troisième division, d’où elle n’avait émergé qu’en 2011, n’était la présence à sa tête d’un certain Fouzi Lekjaâ, président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) depuis avril 2014 dont les talents managériaux sont reconnus par tous.


Le 11 juillet 2021, le Raja de Casablanca a, lui aussi, remporté la Coupe de la confédération africaine.

Les petits plats dans les grands
On peut, en vérité, en dire aussi autant pour les succès obtenus avant 2010, puisque les deux autres clubs marocains ayant à leur actif des titres continentaux sont les FAR de Rabat, vainqueur de la Ligue des champions en 1985 et de la Coupe de la confédération en 2005 et qui, comme leur nom l’indique, sont in fine le club des Forces armées royales (FAR), et le Kawkab de Marrakech, qui avait pleinement tiré profit pour sa victoire en Coupe de la confédération en 1996 du fait que son président se trouvait être Mohamed Mediouri, ex-chef de la sécurité du roi Hassan II. Mais aller tout de même jusqu’à dire que les clubs doivent tout à eux-mêmes et que rien n’a été fait pour leur permettre de se distinguer serait sans doute injuste, et au surplus, faux.

Si, par exemple, le rôle sportif fondamental des nouveaux titres du Wydad et de la Renaissance de Berkane est bien sûr à attribuer à leurs joueurs et aux entraîneurs qui les dirigent, à savoir Walid Regragui -probablement un futur sélectionneur nationalet le Kino-Congolais Florent Ibenge, on ne peut toutefois nier le fait que la FRMF a mis les petits plats dans les grands pour qu’ils se trouvent dans les meilleurs conditions possibles. Ainsi, tout au long de la saison, la fédération leur a prodigué, comme pour le reste des clubs marocains engagés, un accompagnement financier majeur notamment pour leur déplacement, pouvant atteindre les 800.000 dirhams dans les cas où il a fallu réserver un avion privé, et il faut ici rappeler qu’une des raisons pour lesquelles pendant longtemps les clubs marocains n’ont pas pris part aux compétitions africaines (une seule participation avant 1982, celle des FAR à la Ligue des champions de 1968) était justement inhérente aux difficultés logistiques qu’il y avait à sillonner le continent.

Avant sa finale face à Al-Ahly, le Wydad a aussi par ailleurs bénéficié près d’une semaine durant de l’accès gratuit au Centre Mohammed-VI de football, inauguré pour la bagatelle de 630 millions de dirhams (MDH) par le roi Mohammed VI lui-même dans la ville de Salé en décembre 2019, et ce après que M. Lekjaâ en a offert la possibilité à M. Naciri; lequel M. Lekjaâ a surtout eu une contribution décisive au niveau de la CAF en ayant la présence d’esprit de déposer, dès le 12 avril 2022, une demande pour que ce soit la ville de Casablanca qui accueille la finale, étant confiant que le Wydad ou le Raja, finalement éliminé face au même Al-Ahly en quarts de finale, pourront aller jusqu’au bout.

Moyens mobilisés
Ce qui ramène d’ailleurs à la question de l’influence, réelle ou supposée, du Maroc au sein de la CAF: Al-Ahly, par le biais de son conseil d’administration, n’a cessé de remettre tout au long des jours qui ont précédé la finale l’accusation sur le tapis, mettant en cause un soi-disant favoritisme qui profiterait au Wydad tout en se gardant de s’attaquer frontalement au Royaume, usage diplomatique oblige; le fait est que s’il serait exagéré de dire que le Maroc casse désormais la baraque, comme le scandale dont avait été victime le Wydad en 2019 l’avait illustré, il demeure vrai qu’il ne se fait plus marcher sur les pieds comme avant, comme avait par exemple failli en pâtir le Raja à la finale de la Ligue des champions de 1999 face à l’Espérance de Tunis (l’arbitre cap-verdien Manuel Monteiro Duarte avait alors tout fait pour que ce soit ce dernier club qui obtienne le titre au match retour lors d’un match où le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali était présent en tribune d’honneur). En dehors de l’activisme personnel de M. Lekjaâ, qui était arrivé jusqu’à se hisser, en mars 2021, au Conseil de la Fédération internationale de football association (FIFA), l’instance suprême du football dans le monde, il y a aussi, derrière, une volonté affichée au plus haut sommet de l’État de recourir au ballon rond comme moyen de renforcer le soft power du Maroc au niveau continental.

Joies éphémères
C’est d’ailleurs la même raison qui pousse le Royaume à vouloir organiser, depuis 1988, la Coupe du monde, sans succès pour l’heure après avoir échoué à le faire en 1994, 1998, 2006, 2010 et 2026, mais peut-être qu’il réussira à le faire en 2030 puisque dès juin 2018 le roi Mohammed VI avait donné ses instructions au gouvernement Saâd Eddine El Othmani pour travailler sur le dossier afférent. C’était dans la foulée même de la défaite face au ticket Canada-Etats-Unis-Mexique pour l’édition de 2026, que le Maroc aurait bien pu être en passe d’organiser n’était la mesquinerie de cercles proches de l’actuel prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, qui n’avaient pas accepté que le Royaume refuse de prendre position contre le Qatar à partir du déclenchement de la crise du Golfe début juin 2017.

S’il y a en tout cas de quoi se satisfaire par rapport aux résultats internationaux des clubs marocains -n’oublions aussi pas la Coupe arabe des clubs champions de 2020 du Raja, sa deuxième après celle de 2006-, il ne faut néanmoins pas se leurrer et croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes: peut-être en comparaison avec les autres pays africains, exception faite des résultats de la sélection A qui, en dépit de la deuxième qualification consécutive en Coupe du monde, restent sans doute en deçà des moyens mobilisés, mais dans l’absolu il faudra sans doute consentir davantage d’efforts au cours des années à venir pour davantage professionnaliser le football national. Il est par exemple inconcevable de voir un club comme le Raja miné depuis plusieurs années déjà par la gabegie, au point qu’il s’apprête encore à changer de comité de direction mois d’un an après l’élection, d’Anis Mahfoud, de la présidence, sans parler d’autres clubs qui parfois ne paient plus leurs joueurs, ce à quoi ces derniers répondent par des grèves (comme ceux, cette saison 2021-2022, de l’Ittihad de Tanger, du Mouloudia d’Oujda et du Chabab de Mohammédia).

Pour des raisons plus ou moins analogues, des clubs historiques comme le CODM à Meknès, le KAC à Kénitra et, plus récemment, le Kawkab de Marrakech ont, eux, déjà fini par sombrer dans les affres de la troisième division, alors que les villes qu’ils représentent se doivent normalement de compter au moins un représentant en première division. Pérenniser le football national au plus haut sommet: voilà le défi que les décideurs marocains se devront de relever, faute de quoi les joies actuelles ne sauraient être qu’éphémères...

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