Scrutin : Quels scénarios pour une future majorité ?

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Analyse des résultats du scrutin du 7 Octobre


Les urnes ont donc tranché, le  7 octobre 2016, pour désigner  les 395 membres de la nouvelle  Chambre des représentants.  Mais ont-elles clairement parlé  pour permettre de réunir, d’ici 2021,  les conditions d’un vaste programme  réformateur encore à l’ordre du jour  pouvant répondre aux attentes et aux  besoins des citoyens? Voire. Évoquons  tout de suite la question de la participation  électorale: elle été modeste,  médiocre même. C’était prédictible  depuis des semaines –on s’en doutait,  en effet, au vu de l’état d’esprit dominant  confirmé lors de la campagne  électorale. Avec 43% de votants, soit  globalement quelque 6,7 millions  d’électeurs –dont il faut déduire au  moins un million de bulletins nuls ou  blancs– cela donne 5,7 millions qui se  sont prononcés en faveur des 32 partis  en lice. En d’autres termes, par rapport  à un électorat potentiel de l’ordre  de 23 millions de personnes en âge de  voter, voilà qui témoigne d’une base  électorale passablement étriquée, qui  ne permet pas d’améliorer la capitalisation  démocratique.

Un électorat contracté
C’est précisément cette dimension  contractée des votants qui a fait l’affaire  du PJD. Il a fait, lui, le plein de  ses voix, ses électeurs présentant la  double particularité de la motivation  et de la discipline. Il a aussi récolté les  fruits d’une précampagne engagée  depuis des années, autour d’un maillage  associatif démultiplié dans toutes  les régions; d’où sa présence dans  toutes les listes locales des 92 circonscriptions.  En a-t-il été ainsi dans  les autres formations? Partiellement et  de manière inégale.

Une telle mobilisation lui a permis d’obtenir  125 sièges, soit 18 de plus qu’en  2011 (107), correspondant à 31,64% de  l’ensemble. A ce titre, l’un des siens  sera appelé par le Roi, conformément  aux dispositions de l’article 47 (al.I)  de la Constitution à former un gouvernement.  Si cette formation islamiste  peut légitimement plastronner avec  le score du 7 octobre, c’est un autre parti, le PAM de Ilyas El Omari, qui est  le grand vainqueur de ce scrutin. Créé  en 2009, il comptait 46 sièges dans la  Chambre des représentants sortante  (2011-2016). Mais il avait fait sa place  aussi, et de manière encore plus significative,  lors des scrutins locaux et  régionaux de septembre 2015, se classant  dans le lot de tête.

Le PJD et le PAM sont les deux seules  formations qui ont fortement augmenté  leurs effectifs parlementaires.  Toutes les autres accusent en effet un  recul, voire même une chute spectaculaire.
L’USFP de Driss Lachgar, qui avait 39  sièges, recule à 20 (-19); le RNI de Salaheddine  Mezouar de 52 à 37 (-15); le  PI de Hamid Chabat de 60 à 46 (-14);  le PPS de Mohamed Nabil Benabdallah  de 18 à 12 (-6); le MP de Mohand  Laenser de 32 à 27 (-5); l’UC de Mohamed  Sajid de 23 à 19 (-4); le MDS  de Abdessamad Archane, lui, décrochant  3 sièges (+1). La Fédération  de la Gauche démocratique (FGD) de  Nabila Mounib gagne pour la première fois sa représentation parlementaire  avec deux sièges mais aucun sur le  compte des listes nationales, ce qui ne  permet pas à cette nouvelle icône de  la mouvance de la gauche marocaine  d’intégrer cette institution.

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Un nouveau clivage
Au total, deux faits majeurs au moins  doivent être mis en relief. Le premier  d’entre eux, c’est que ce sont deux  nouveaux partis qui sont au premier  rang, surclassant de loin toutes les  autres formations. Ils sont de ce fait  structurants et de manière incontournable  tant du côté d’une majorité que  d’une opposition.

Voilà qui déclasse fortement des partis  qui depuis des décennies étaient, à  un titre ou à un autre, au centre des  différentes formules gouvernementales  en place. Ce sont des partis qui  se réclament du référentiel religieux  dans son versant conservateur (PJD)  et des valeurs de la modernité et de la  démocratie (PAM) autour d’un projet  social-démocrate. Le nouveau clivage est là et ne porte plus sur les multiples  paramètres de la bipolarisation traditionnelle  entre deux rôles, celui issu du  mouvement national (PI, USFP, PPS) et  celui comptabilisé sur le registre des  partis dits “administratifs” (RNI, PND,  UC…). Si bien que chacune des composantes  de ces pôles n’a plus d’autre  choix que celui d’un allié devant compléter  une majorité dans un cas.

Des revendications particulières
Le PAM assume d’ores et déjà l’altérité,  l’alternative et il exclut toute “ouverture”  éventuelle vers le PJD, appelé à  former un gouvernement. Si cette formation  islamiste ne peut que se réjouir  de son score aujourd’hui, l’on peut se  demander si elle est en capacité d’en optimiser les fruits et d’arriver à former  précisément une majorité. Le pointage  des résultats du 7 octobre conduit à  plusieurs observations à cet égard.  Avec le PPS (12 sièges), le PJD ne  totalise que 137 voix aux sein de la  nouvelle Chambre des représentants.  Il lui manque une bonne soixantaine  d’autres pour atteindre le chiffre de  198, qui est celui de la majorité absolue.

Vers quelles pistes peut-il s’engager?  Vers le MP de Mohand Leanser  –déjà membre du cabinet sortant– qui,  depuis toujours, tient à sa vocation  gouvernementale, tant pour des raisons  socioculturelles que pour répondre  à des ambitions de sa direction,  passée, actuelle et future… Reste une  approche à faire en direction de deux partis comme le RNI –lui aussi sortant  de la majorité– et le PI dont les résultats,  respectivement 37 et 46, peuvent  assurer le bouclage à la hauteur de la  majorité absolue.  Pour ce qui est de la formation de Salaheddine  Mezouar, nul doute que les  négociations seront plutôt laborieuses  –elles avaient duré, rappelons-le, pas  moins de quatre-vingt jours, entre juillet  et octobre 2013 pour arriver à sa  participation à la suite du retrait du PI.  Sans grand risque d’erreur, on peut  penser que le RNI aura des demandes  et des revendications particulières: le  pôle économique, qu’il assume aujourd’hui,  et sûrement davantage. Sera-  t-il entendu? M. Benkirane fera un  premier tour exploratoire avec ce parti  tout en faisant un autre de même nature  avec le PI.

Précisément, avec cette formation, les  négociations seront encore plus difficiles.  Il y a le contentieux personnel  entre Abdelilah Benkirane et Hamid  Chabat et leur aversion réciproque; ce  n’est pas négligeable. Il faut y ajouter  la dureté de la campagne électorale  qui vient de se terminer, le leader istiqlalien  qualifiant le cabinet Benkirane  de “plus mauvais de l’histoire du Maroc”.


Hamid Chabat et Abdelilah Benkirane. - © DR Hamid Chabat
et Abdelilah Benkirane. - © DR

Un héritage commun
Sans oublier que, là aussi, ce parti ne  réfrènera pas ses appétits et sa gourmandise  en réclamant certainement  des départements importants, stratégiques,  à forte visibilité politique  et électoraliste (finance, économie,  industrie, commerce, équipement,  transports); bref, tous les leviers nécessaires  à une “rupture” et à la mise  en oeuvre d’un nouveau modèle économique  prôné par l’Association des  économistes istiqlaliens présidée par  Adil Douiri.

Sur ces bases-là, parmi d’autres, M.  Benkirane, s’il est désigné comme  Chef du gouvernement par le Roi, arrivera-  t-il à donner suite aux prétentions  de cet éventuel allié istiqlalien, qu’il  préfère au RNI parce que le PJD et le PI  partagent, dans une large mesure, un  héritage commun, sauf à relever que le second y ajoute l’arabité. Si d’aventure,  toutes ces tractations –avec les  uns et les autres– n’aboutissent pas,  que faire? La Constitution ne fixe  pas un délai, à la différence d’autres  pays. Raisonnablement, cette phase  de consultation ne saurait dépasser  quatre à cinq semaines au plus –c’est  d’ailleurs la moyenne des quatre cabinets  précédents (Youssoufi, Jettou, El  Fassi et Benkirane).

Le Souverain n’est évidemment pas  partie prenante dans cette procédure,  mais il en est informé. En cas d’échec,  la même Constitution ne prévoit pas un  “plan B” prévoyant la désignation d’un  membre du parti classé deuxième. Que  faire alors? Une session de rattrapage  peut être octroyée à M. Benkirane pour  reprendre ses négociations avec ses  alliés potentiels. Elle peut également être mise à profit pour ouvrir celles-ci  à d’autres et élargir ainsi le périmètre  possible des bases d’un accord. Aurat-  il plus de succès?  Le PAM, on l’a dit, est étranger à ce  dialogue. L’USFP campe sur une position  presque aussi ferme. Le RNI ne  voudra pas céder sur ses demandes  de départ. Et le PI, se considérant, non  sans raison, comme incontournable,  tiendra de son côté la dragée haute au  leader du PJD.

Un leader très clivant
L’éventualité d’un “plan C” doit-elle  être évacuée? Elle présenterait deux  variantes. L’une, c’est que Benkirane,  s’inscrivant dans le temps long, “étapiste”  comme il aime à le rappeler, arriverait  à finaliser un compromis avec  des alliés (MP, RNI ou PI) et ce sur des bases qu’il aura à faire ratifier par les  siens, requinqués par le score du 7 octobre.

L’autre, c’est qu’il remette son tablier,  constatant l’impossibilité de mettre sur  pied une majorité. Et si tel était le cas,  n’est-ce pas aussi parce que, quelque  part, c’est peut-être sa personne qui  crispe la recherche d’une formule acceptable?  Une option pas forcément  irrecevable ni implaidable parce que  le bouillant leader du PJD est très clivant  aujourd’hui; qu’il nourrit ainsi tant  l’adhésion –son populisme aidant– que  l’hostilité; et qu’il faut se préoccuper à  intégrer cette formation islamiste sur  un autre mode, moins diviseur, moins  imprécateur aussi, résolument tourné  vers une gouvernance et un programme  à la hauteur des défis économique  et sociaux d’aujourd’hui.

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