Samir Kaddar: "Le Maroc se dirige vers une véritable démocratisation de la santé"

Entretien avec Samir Kaddar, spécialiste en anesthésiologie à bruxelles et président-fondateur du réseau C3M.

Né à Berkane, «dans une famille modeste et nombreuse» et après des études de médecine au Maroc et à l’université de Montpellier, Samir Kaddar s’est spécialisé en anesthésie-réanimation en Belgique. Président fondateur du réseau international des compétences médicales des Marocains du monde (C3M), Kaddar revient pour Maroc Hebdo notamment sur les raisons qui poussent les médecins de quitter le Maroc.

Vous êtes médecin installé à l’étranger. Près de 600 médecins quittent le Maroc chaque année. Quelles sont les principales raisons qui vous poussent à prendre cette décision?
Le Maroc fait face effectivement à une pénurie chronique de ressources humaines médicales. Plus de 600 médecins jeunes diplômés quittent le Maroc annuellement vers les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont les deux tiers s’installent en France. Depuis quelques années, l’Allemagne, vu le vieillissement de sa population active, attire et recrute de plus en plus de médecins étrangers, y compris ceux provenant du Maroc.

La seule condition requise est la connaissance de la langue allemande. Pour répondre à votre question, on peut lister 5 principales raisons qui pousseraient un médecin marocain à émigrer. Il est attiré par des conditions financières et sociales plus intéressantes, et il est à la recherche d’un meilleur environnement de prise en charge du patient, notamment à travers les équipements et matériels dédiés à cette prise en charge.

Il cherche également à assurer un avenir meilleur pour ses enfants que ce soit pour l’enseignement de base ou la poursuite des études supérieures. Enfin, il est attiré par les conditions propices à développer la recherche clinique et celle fondamentale dans le domaine de la santé.

Êtes-vous aujourd’hui intéressé à revenir exercer la médecine au Maroc?
Au sein du réseau international Compétences Médicales des Marocains du Monde (C3M), nous sommes déjà partenaires de longue date avec les autorités marocaines et nous avons toujours répondu présents aux différentes manifestations. Parmi nous, certains médecins ont fait le pas pour s’installer au Maroc, mais ils demeurent peu nombreux. A mon avis, il faut réfléchir à un plan de transition au sein des médecins marocains du monde, celui d’une migration circulaire qui peut représenter une stratégie intermédiaire afin d’assurer une présence dans les deux rives en même temps, au Maroc et au pays d’accueil.

Cette notion de migration circulaire a l’avantage de faire profiter la population marocaine des offres de soins données par les C3M, sans pour autant perdre leur intérêt dans les différents pays d’accueil, tout en se préparant peut-être pour une installation définitive au Maroc à moyen terme.

Le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, a annoncé la volonté de l’Etat de recourir à des médecins étrangers. Qu’en pensez- vous?
Lors de la signature des différentes conventions cadre au palais royal de Fès devant le Roi Mohammed VI, un des volets de grande importance a été l’ouverture aux investissements étrangers et aux compétences étrangères, et le ministre Aït Taleb l’a d’ailleurs confirmée dans ses interventions. Ceci nous permettra des créer et/ ou améliorer des pôles d’excellence dans les domaines variés de la santé tels que l’électrophysiologie, la rythmologie, la procréation médicalement assistée et la greffe d’organes et des tissus (transplantation cardiaque et hépatique entre autres).

Les réseaux C3M représentent un véritable concentré d’intelligence marocaine à l’étranger. Une politique de santé ainsi menée ne peut que porter ses fruits à terme en attirant les médecins marocains de l’étranger et inverser le courant de la fuite des cerveaux.

Quelles sont vos recommandations pour améliorer l’offre de soins au Maroc et réhabiliter le statut des médecins marocains?
Le chantier de la réforme du système de santé, fondé sur la généralisation de la couverture sociale et sur l’ouverture de la pratique aux compétences étrangères, lancé par le Souverain, constitue une véritable révolution sanitaire et sociale. Cette réforme permettra d’asseoir une bonne démocratisation de la santé dans le respect du droit du citoyen à la vie et à la santé. Aujourd’hui, le Maroc, porte de l’Afrique, lance des projets d’investissement dans différents domaines. Il est évident d’accompagner ces énormes réalisations avec une offre de soins à la hauteur des espérances des Marocains.

La réforme des soins de santé dans toutes ses composantes dans un pays en plein développement devrait répondre à certaines conditions que je liste dans 10 principales recommandations: asseoir une bonne gouvernance, appliquer les standards les plus actuels dans le domaine médical, cibler une haute qualité des soins avec un mécanisme de contrôle régulier, opter pour une meilleure régionalisation de l’offre de soins, renforcer l’enseignement et la formation continue, stimuler la recherche scientifique dans les domaines de la santé et encourager et faciliter les investissements dans la santé.

Il s’agira également de développer la digitalisation dans la santé et virer vers des Smart Hospital, la télésanté et le dossier médical unique. Il faut aussi encourager la prévention de certaines maladies afin de les éviter et donc réduire le coût de leur prise en charge et, bien sûr, entamer une valorisation sociale et financière des ressources humaines en les encourageant à intégrer cette politique de réforme sanitaire. Vous savez, la santé est une véritable entreprise. Le Maroc pourrait, à terme, l’exporter vers d’autres pays à condition d’entamer une véritable réforme de ce secteur.

Il y a dix ans, vous avez créé le réseau C3M. Quels en sont les principaux objectifs?
L’idée du réseau est venue pour fédérer les compétences des Marocains du monde qui oeuvrent dans le domaine de la santé. Elles sont très nombreuses de par le monde et elles comptent des femmes et hommes, chercheurs, médecins et enseignants dans différentes spécialités. L’objectif de C3M est de consolider le lien entre notre pays d’origine et ses ressortissants à l’étranger à travers leurs compétences.

Il y a aujourd’hui plus de 16.000 médecins d’origine marocaine dans le monde, et il nous a paru important de fédérer ce concentré d’intelligence en matière de santé pour aider au développement de la santé du Maroc. A travers C3M, nous encourageons ce que nous appelons une migration circulaire qui bénéficie autant au pays d’accueil qu’au pays de nos racines.

Ce type de réseau permet aussi de mettre en valeur des apports positifs des immigrés, notamment marocains, à leur société d’adoption. Selon les chiffres de l’OCDE, plus de 16% des Marocains du monde sont des cadres supérieurs avec un bagage académique de haut niveau. Pour lutter contre les préjugés et les extrémismes, il est important de valoriser la qualité de ces compétences et de ces talents. Les reconnaître fera partie de la solution contre les rejets.

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