En cette fin de soirée du samedi 9 décembre 2023, peu après 23h, un avion de transport militaire McDonnell Douglas C-17 Globemaster III appartenant à l’United States Air Force atterrit à la base aéronavale hispano-américaine de Rota, dans la province de Cadix, à l’extrême Sud de la péninsule Ibérique. Sa provenance? Rota même, d’où il est parti 2h40 plus tôt, aux alentours de 20h30. Une simple virée de routine pour l’aéronef US? Il semblerait, selon les informations des médias régionaux, que non. D’après ce que ces médias rapportent, l’avion s’apprêtait à traverser l’espace aérien algérien, après être passé, auparavant, par la Méditerranée. Pour une destination qui pourrait avoir été le Proche-Orient, où depuis le mois d’octobre 2023 les États-Unis soutiennent Israël dans leur guerre contre la bande de Gaza, en Palestine.
Fin de non-recevoir
Le hic, c’est que l’avion n’a pas donc pu arriver à destination, en raison du refus de l’Algérie de le laisser passer par son territoire. En effet, une fois parvenu au large de la voisine de l’Est, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir et, au bout du compte, il a dû rebrousser chemin. On pourrait le croire, le régime algérien aurait voulu, de la sorte, exprimer son opposition au génocide perpétré à l’encontre du peuple palestinien à Gaza, ce qui va de pair avec l’image qu’Alger cherche à vendre d’elle-même au niveau arabe et international, à savoir celle de championne de la cause palestinienne. Sauf au détail près que voici: le mot de passe utilisé entre les tours de contrôle algériennes et l’avion américain.
Selon des messages ACARS dont la teneur a été révélée dans son édition du 10 décembre 2023 par le quotidien “La Razon” -les messages ACARS (Aircraft Communications Addressing and Reporting System) sont un système de communication utilisé par les avions pour transmettre et recevoir des informations avec les tours de contrôle ou d’autres stations au sol-, le mot de passe en question correspond au nom du sous-secrétaire adjoint américain pour l’Afrique du Nord, Joshua Harris. Or, cela n’aura pas échappé aux observateurs, Joshua Harris se trouvait depuis la veille, vendredi 8 décembre 2023, en Algérie, où il a notamment été reçu par le ministre des Affaires étrangères algérien, Ahmed Attaf, et le secrétaire général du même département, Lounès Magramane. Et surtout, au cours de cette visite, le diplomate américain aura tenu des propos peu amènes envers la partie algérienne, notamment dans une interview publiée sur son site web par les propres soins de l’ambassade des États- Unis à Alger.
Dépêché par son pays dans l’objectif affiché “de parvenir sans plus attendre à une solution durable et digne” au Sahara marocain, où, comme le sait, un différend oppose depuis novembre 1975 le Maroc et l’Algérie au sujet de l’avenir de la région, Joshua Harris a jeté toute la responsabilité du blocage que rencontre le processus de règlement dans la région dans le camp algérien. Certes, il l’a fait, comme le commande de toute façon la casquette qu’il portait à cette occasion, en termes diplomatiques, parlant tantôt de “nos amis algériens”, tantôt de “nos partenaires algériens”. Mais le résultat est, au final, clair: “Je suis (...) revenu en Algérie pour avoir une nouvelle série de consultations avec nos partenaires algériens sur les mesures pratiques à prendre pour un processus politique réussi à l’ONU”, a-t-il indiqué pour expliquer le leitmotiv de son déplacement, qui est effectivement son deuxième en trois mois sur le sol algérien après celui du 7 septembre 2023.
Et qui en dit aussi long sur l’insistance américaine à vouloir désormais expédier au plus vite l’affaire saharienne. Mais il y a pire pour les dirigeants algériens: malgré les multiples relances à ce propos du journaliste qui l’interviewiait, qui représentait le journal électronique “Algérie maintenant”, Joshua Harris a totalement fait l’impasse sur la question du soi-disant référendum d’autodétermination que souhaite toujours orchestrer la junte algérienne au Sahara marocain, mettant plutôt en avant, quand il en a eu l’occasion, le fait que “les États-Unis considèrent la proposition d’autonomie du Maroc comme sérieuse, crédible et réaliste, et comme une approche potentielle pour satisfaire les aspirations du peuple du Sahara occidental (sic)”.
Il a même, dans le même sillage, refusé de dire que Washington avait renoncé à sa décision de décembre 2020 de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara, comme l’espérait visiblement tant le journaliste algérien qui l’interrogeait (“Les États-Unis ont-ils changé de position?”, lui a-t-il carrément demandé, à un moment). Dans une autre de ses réponses, Joshua Harris en a aussi profité pour remettre les pendules à l’heure par rapport à la visite du 14 novembre 2023 de l’ambassadrice des États-Unis à Alger, Elizabeth Moore Aubin, que l’Algérie avait essayé de présenter comme une ouverture de la part du pays de l’oncle Sam sur le mouvement séparatiste du Front Polisario: “l’ambassadeur Aubin a récemment pris part à une visite de donateurs des Nations Unies à Tindouf pour se concentrer sur la réponse internationale à la situation humanitaire”, a précisé Joshua Harris.
Groupes pro-iraniens
De toute façon, ce dernier n’a fait aucun cas, tout au long de son interview, du Polisario, ne le citant nommément à aucun moment, si ce n’est en faisant brièvement allusion à lui en condamnant à demi-mot son attaque terroriste du 28 octobre 2023 dans la ville de Smara. “Nous considérons que cibler tout civil est totalement inacceptable”, a-t-il déclaré. De même, il a mis sur le même pied sur le même pied «l’escalade militaire» due au Polisario et l’action des groupes pro-iraniens au Moyen-Orient, dans la mesure où il a estimé que cette «escalade militaire est très dangereuse, surtout en cette période de forte pression dans la région, avec les événements en Israël et à Gaza et les tentatives alarmantes des groupes Houthis de créer un conflit régional plus large» et que «cela ne fait qu’accentuer encore davantage le danger d’une escalade militaire au Sahara occidental (sic)». De là à ouvrir la voie à ce que le Polisario soit déclaré terroriste par les États-Unis, comme elle considère lesdits groupes pro-iraniens, tels le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban?
Au vrai, la sortie de Joshua Harris en Algérie constitue un véritable camouflet fait maison pour le pouvoir algérien, faisant que le fait d’interdire à un avion militaire américain de survoler le territoire algérien paraisse bien dérisoire (cette décision n’est, soit dit en passant, pas sans rappeler celle qui avait concerné, à partir d’octobre 2021, les avions français, suite à des propos du président Emmanuel Macron qui avait contesté jusqu’au fondement historique de l’existence de la nation algérienne). Au départ, la machine de propagande algérienne avait d’ailleurs adopté la politique de l’autruche, “Algérie maintenant” allant jusqu’à publier, sur ses pages, une version trafiquée, qui met des propos pro-séparatistes dans la bouche de Joshua Harris (comme par exemple le fait que ce serait aux “Sahraouis” de décider de leur sort, sous-entendant qu’ils existaient vraiment en tant qu’entité et qu’un référendum devait être organisé).
Le fait que l’ambassade des États-Unis ait pris l’initiative de publier elle-même l’interview, et ce en arabe, en français et en anglais, a, à cet égard, constitué, en soi, une sorte de réponse du berger à la bergère et, en somme, la confirmation d’un désaveu.. “Connaissant les dirigeants algériens, c’est tout-à-fait normal qu’ils soient désormais dans la fuite en avant”, nous indique le politologue américain Calvin Dark, joint par nos soins, pour qui l’Algérie se trouve actuellement dans une impasse. À ses yeux, celle-ci ne fait que tenter un ultime baroud d’honneur, tout en sachant pertinemment que ce qu’elle défend, c’est-à-dire la séparation du Sahara marocain, est une cause totalement perdue.
“La communauté internationale est vraiment décidée désormais à mettre fin au différend, surtout dans le contexte actuel d’instabilité que connaît la région et qui s’est accentué avec la guerre à Gaza. Ce ne sont donc pas seulement les États-Unis. Pour les États-Unis, leur objectif semble clair: avec Gaza surtout, je pense qu’ils ont réalisé que plus que jamais, ils ont besoin de conforter le Maroc en tant que partenaire crédible dans la région, et ils savent que cela passe par la fin du différend au Sahara marocain. Maintenant il faut rester attentif, l’administration actuelle est démocrate, ce n’est pas la même chose que les Républicains avec Donald Trump (qui avait reconnu la marocanité du Sahara, ndlr), de ce fait les choses se déploient un peu différemment, peut-être à une vitesse qui sera frustrante pour les Marocains. Mais le vent souffle, de façon évidente, dans la direction du Maroc”, décrypte Calvin Dark. On dira aussi que c’est l’Algérie qui fait désormais face à des vents contraires. Normal que les avions militaires américains ne sachent pas comment s’y retrouver.