Depuis son passage à l’anglais au détriment du français à l’école à partir d’octobre 2008, le Rwanda fait beaucoup parler de lui dans le monde francophone et ce jusqu’au secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD) et ancien chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane. En mars 2019, ce dernier avait vertement réagi après que le gouvernement Saâd Eddine El Othmani, pourtant lui-même issu de la formation de la lampe, entrepris de franciser l’enseignement des matières scientifiques dans le droit fil de la vision stratégique de la réforme 2015-2030 du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS); en gros, il aurait au moins fallu, à en croire M. Benkirane, privilégier la langue Shakespeare du moment qu’il était question de renoncer à l’arabe, car son adoption serait plus pertinente du point de vue des écoliers marocains.
Et il n’avait alors pas manqué de citer nommément le cas rwandais et sa réforme d’il y a une quinzaine d’années. Bien évidemment, il y avait là beaucoup de surenchère de la part du “zaïm” islamiste mais aussi certains de ses “frères” qui n’avaient pas manqué de lui emboîter le pas, d’autant plus que c’est un secret de polichinelle que beaucoup mettent leurs enfants à la mission française.
Mais même dans le fond, l’argumentaire sur lequel il s’était appuyé n’était pas vraiment très bien informé. Car si le Rwanda, qui n’a tout de même pas renoncé à sa francophonie -rappelons simplement que c’est une de ses ressortissantes, en l’occurrence Louise Mushikiwabo, qui assure depuis janvier 2019 le poste de secrétaire générale de la Francophonie-, a pu procéder à un changement aussi radical en aussi peu de temps, c’est que tout d’abord le français n’y a jamais vraiment eu autant cours qu’au Maroc: depuis l’indépendance du pays en juillet 1962, ses locuteurs se sont tout au plus estimés à un dixième de la population.
Et il y avait aussi d’autres facteurs très particuliers liés à l’histoire nationale: l’élite tutsie qui a pris le pouvoir à l’issue du génocide de 1994 en l’espèce du parti du Front patriotique rwandais (FPR) de l’actuel président, Paul Kagamé, avait principalement grandi et été éduquée dans l’Ouganda anglophone voisin, où de nombreux Rwandais s’étaient réfugiés lors des massacres perpétrés par les Hutus au tournant des années 1960 -période que l’on appelle en kinyarwanda, la langue du pays, “Muyaga”, c’est-à-dire le vent de desctruction.
Et c’est d’ailleurs justement en raison de son anglophonie que ladite élite se vit combattue, dans la première moitié des années 1990, par la France du président François Mitterrand; au point que Kigali continue encore d’accuser cette dernière d’avoir contribué au génocide, bien que la mise en place en avril 2019 par le président Emmanuel Macron de la Commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda, précédé de l’élection de Mme Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), a quelque peu permis d’atténuer les tensions. On est donc bien loin de l’anglophonie utilitaire grossièrement dépeinte par M. Benkirane.