Personne n’aurait cru que Abderrahim Hafidi serait capable d’assumer une responsabilité tellement redoutée que seulement très peu de compétences sont parvenues à estampiller leurs noms dans l’écosystème audiovisuel français. Natif de Ouazzane en 1956, Abderrahim Hafidi a très tôt quitté sa ville natale pour s’installer définitivement à Salé. ‘‘Une ville d’une grande tradition historique et culturelle’’, nous dit-il. Attaché aux valeurs d’une éducation dispensée par des parents conservateurs, il mène une vie immaculée loin des disputes enfantines et des échanges stériles. ‘‘Mon enfance est d’abord marquée par une vie paisible à Salé’’, souligne-t-il.
Scandale en France
Et comme il voue un amour inconditionnel à la ville qui l’a vu grandir durant des années jusqu’à son départ en France au début des années 1980, M. Hafidi ne tarit pas de propos laudatifs à l’égard de cette cité fondée par la tribu des Bano Âchara au XI siècle. ‘‘Une ville qui avait accueilli les Maurisques fuyant les inquisitions catholiques en Andalousie. D’où la douceur de ses habitants’’, relève M. Hafidi, qui rappelle que la culture spirituelle de Salé a fortement impacté son inconscient et cimenté son attachement à cette belle tradition alliant histoire et mémoire.
Plein d’entrain, le jeune Abderrahim Hafidi choisi de construire sa carrière à l’étranger. ‘‘J’ai eu mon baccalauréat au lycée Moulay Youssef de Rabat’’, nous raconte-t-il. Commence ensuite une seconde vie. ‘‘Celle de tenter de découvrir un autre ailleurs, d’enjamber les frontières et d’aller vers de nouveaux horizons pour acquérir plus de savoir’’, justifie M. Hafidi. Il intègre ainsi la Faculté de droit de Paris II Panthéon Sorbonne. Quatre ans plus tard, il obtient une maîtrise de droit, et il rejoint l’Université Paris I Sorbonne en vue de compléter son cursus académique. ‘‘J’ai soutenu ma thèse de DEA en sciences politiques sous la direction du philosophe politique François Châtelet’’, précise M. Hafidi, qui par la même occasion remercie la Providence d’avoir mis sur son chemin l’élite des académiciens. Mais comment ce visage familier du paysage audiovisuel français a-t-il réussi à avoir une telle carrière ? ‘‘Un concours de circonstance extraordinaire me fait rencontrer le professeur Rémy Leveau, célèbre spécialiste du Maroc, qui m’a encouragé à intégrer le département des relations internationales et du monde Arabe de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po)’’, nous répond-il.
Candidats respectés
Toutes ses recherches académiques avaient alors porté sur ‘‘l’islam et l’approfondissement de la connaissance de la société française dans ses rapports complexes qu’elle entretient avec l’islam et les Musulmans. Il commence sa carrière professionnelle en tant que chargé de cours à l’Université Paris XIII avant d’être propulsé maître assistant à l’Institut national des langues et des civilisations orientales (INALCO).
En 1999, un scandale va éclater au grand jour en France. Le producteur d’une émission religieuse hebdomadaire diffusait indirectement de la publicité. Le ministère français de l’Intérieur entre en ligne et le producteur en question fut désavoué. Débute alors une mission complexe : rétablir la programmation des émissions spéciales, qui comprennent les transmissions du dimanche et celles portant sur les thèmes de santé et humanitaires. Jean-Pierre Chevènement alors ministre de l’Intérieur va se saisir de ce dossier. Cinq noms figurent parmi les candidats. Parmi lesquels : Abderrahim Hafidi. Le nouveau groupe qui sera désigné aura la responsabilité d’élever les débats religieux. Mais sur le plan réglementaire, les parties prenantes sont tenues de sceller un partenariat, et la personnalité morale s’impose pour ce faire. ‘‘Dans la foulée, nous avons créé une association afin de matérialiser notre collaboration’’, nous rapporte-t-il. Sauf qu’il n’a pas été question qu’il anime une quelconque émission. Mal lui en a pris, Abderrahim Hafidi n’a peut-être pas bien rodé le terrain. En effet, il se trouve que l’animatrice Nadia Samir, qui devait assurer le premier numéro de l’émission, est tombée malade. ‘‘Si Nadia ne peut pas, c’est vous. Ce sont 65 000 euros qui vont partir en fumée’’, lui dit alors le directeur des programmes de France 2. Ses jambes commencent à greloter et son thorax se resserre de plus en plus à mesure qu’il retient son souffle, il répond, impuissant, par l’affirmative. ‘‘J’ai fait de mon mieux pour assurer devant les caméras’’, se remémore-t-il, nostalgique. Et depuis, c’est à Abderrahim Hafidi qu’on réserve une demie heure dans le programme de dimanche matin pour animer des débats portant sur des thématiques religieuses.
Disparaître du petit écran
Au-delà de l’Hexagone, sa notoriété a franchi les frontières. Il est devenu très connu dans le monde arabe. Et surtout très suivi par la communauté musulmane étrangère. En 2017, il a été reçu par le roi Mohammed VI au Palais royal de Casablanca dans le cadre des causeries hassaniennes qui ont lieu à l’occasion du mois sacré du ramadan. La réception royale fut une bénédiction pour ce père de trois enfants. Après quatre décennies en France, il estime qu’il est temps pour lui de rentrer définitivement au Maroc. ‘‘Je retrouverai bientôt sans mon pays, ses gens, ses traditions et ses cultures séculaires’’, poursuit-il. En revanche, il ne prévoit pas de disparaître du petit écran français. ‘‘Je m’organiserai pour que mon émission continue d’être diffusée, de sorte que je me rende en France pendant une semaine pour assurer le tournage de Islam’’, nous confie-t-il.