La diplomatie climatique du Maroc
Avec la COP22 à Marrakech, voilà bien un grand relief donné à la politique étrangère du Royaume. Un sommet africain réunissant une trentaine de pays est prévu le 16 novembre 2016. Il doit permettre d’arriver à une approche commune sur les grandes questions inscrites à l’ordre du jour de cette conférence. Il va aussi assurer au Maroc la mise en exergue de sa diplomatie climatique. De quoi s’agit-il? Si le Maroc reste un pays à faible taux d’émission de gaz à effet de serre (0,15% à l’échelle mondiale), il n’en reste pas moins soumis aux conséquences du changement climatique. L’enjeu est sécuritaire face aux risques climatiques pouvant frapper les populations, les infrastructures et les activités économiques; il est aussi économique, référence étant faite ici à la protection et à la valorisation de territoires sensibles (zones arides, oasiennes et littorales) touchés par la sècheresse et la désertification; enfin, il regarde les exigences du développement humain notamment dans les zones de pauvreté en milieu rural sans oublier l’exode et les zones de précarité en milieu urbain et périurbain.
Des projets innovants
C’est dire que le Maroc est intéressé au premier chef par l’adaptation au changement climatique et par son atténuation. Et dans cette ligne, il s’est engagé depuis une dizaine d’années dans une politique nouvelle participant d’une vision qui a pris forme et contenu à travers tout un dispositif institutionnel. A ce titre, il faut commencer par la Fondation Mohammed VI, qui oeuvre depuis 2007 pour la protection de l’environnement. Il faut y ajouter, en matière d’afficacité énergétique, la transformation, le 22 septembre 2016, de l’ADEREE en AMEE (Agence marocaine pour l’efficacité énergétique). La mission de celleci porte surtout sur l’élaboration d’un plan national et des plans sectoriels et régionaux dans ce domaine. Sur cette base, MASEN (Moroccan Agency for Sustainable Energy) se voit recentrer sur les énergies renouvelables: solaire, éolienne et hydraulique. Un schéma qui précise donc et délimite les périmètres de chacun des acteurs, assurant ainsi une forte visibilité et une plus grande coordination.
Avec l’IRESEN (Institut de recherche en énergie solaire et en énergies nouvelles), c’est l’innovation et la recherche qui sont au premier plan. Des appels à projet visent ainsi la mise en place et le développement de pôles d’excellence et d’unités de recherche spécialisés. Des projets innovants sont orientés tant vers les besoins nationaux qu’africains. Il s’agit de développer et de capitaliser un savoir-faire. Cinq ans après sa création, l’IRESEN se distingue, grâce à un concours financier aux projets, par des innovations encourageantes: unités mobile–modulaire de traitement des eaux saumâtres, batterie Li-Ion avec les déchets de l’industrie du cobalt, systèmes de climatisation solaire thermique, premier ondulateur marocain,… A cela, il faut ajouter un autre instrument, la SIE (société d’investissement énergétique) chargée d’élaborer des solutions et des montages de de financement dans ce secteur.
Elle a déjà finalisé plusieurs projets de centrales solaires de moyenne capacité: Taroudant (4 MW), Marrakech (43 MW), Dakhla (14 MW). Un programme complété par des projets de valorisation énergétique des déchets (Marrakech, Tanger) ou encore de production d’énergie hydraulique (projet de barrage de Sidi Driss, 3 MW). Cette politique se décline, en termes globaux, autour d’un vecteur central qu’est MASEN; au départ, cette entreprise nationale était centrée sur la valorisation de la ressource solaire (Moroccan Agency for Solar Energy) avant d’être rebaptisée Moroccan Agency for Sustainable Energie, avec donc le même acronyme MASEN.
Force de négociation
Cette transformation assure un regroupement des compétences et une capitalisation des expertises de l’ensemble de la chaine de valeur. À l’international, la valeur ajoutée est évidente avec davantage de capacité et de force de négociation. Cela aide également à renforcer la cohérence des politiques publiques dans le domaine des énergies renouvelables. L’objectif est de porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à 42% en 2020 et même à 52% en 2030.
Tout ce capital distingue la diplomatie marocaine et lui donne une valeur ajoutée et une visibilité particulière dans le continent. Le choix du Maroc pour la COP22 est une reconnaissance des efforts consentis dans le domaine de la préservation de l’environnement. Il témoigne aussi de l’émergence d’un modèle de développement laborieusement recherché par la communauté internationale. Ce faisant, le Royaume affirme et consolide même sa position de pays modèle dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets. L’engagement de l’État au plus haut niveau participe de ce rang. Prince héritier, Sidi Mohammed avait dirigé la délégation du Maroc au Sommet de la Terre en 1992, à Rio de Janeiro. Sous son égide, une conférence s’est tenue à Marrakech, en 2001, au lendemain du sommet de Kyoto. En décembre 2015, il a participé au sommet de la COP21. Depuis le 7 novembre, c’est le Maroc qui préside pour un an la COP22 qui doit être inscrite sous le signe de l’action. Le Maroc s’est mobilisé autour du programme “triple A” (adaptation de l’agriculture africaine).
Justice climatique
Une initiative concrète, tournée vers l’Afrique et devant être un moteur essentiel de la sécurité alimentaire et de la stabilité. Dans ce “triple A” que trouve-t-on? Les questions de l’eau, de la terre, de l’énergie et du transfert de technologies. De nouveaux domaines où la coopération Sud-Sud, qui est la pierre angulaire de la diplomatie marocaine, va émerger un développement intégré, pour l’Afrique et par les Africains.
Les procédures de discussion au sein de la COP22 font qu’aucun pays ne négocie en son nom propre. Il doit participer à un groupe de pays avec lesquels il partage des contraintes communes: situation géographique, effets climatiques, niveau de développement,… Mais pour ce qui est du vote final, c’est toujours le principe conventionnel “1 État=1 voix” qui s’applique. Le Maroc est dans le troisième groupe “Non–Annexe I” des pays en voie de développement qui sont la majorité des 197 États membres de la COP22. Ils présentent la particularité d’être les premières victimes des changements climatiques et regroupent la majorité des pays africains.
Développement durable
Dans sa boîte à outils à la COP22, le Maroc a de quoi mettre en avant les multiples facettes de sa stratégie de développement durable. En matière de promotion de l’agriculture durable, depuis le lancement du Plan Maroc Vert en 2008 visant la mise à niveau et la modernisation du secteur agricole, il a de quoi plaider. Outre le “Triple A”, il faut citer l’initiative “Oasis durables” ainsi que celle relative à “La Ceinture Bleue” visant le développement d’une Économie bleue de la production halieutique. D’autres secteurs sont également impliqués par cette stratégie: transport durable pour limiter l’impact du secteur sur l’environnement, tourisme durable, habitat et efficacité énergétique.
La question du stress hydrique en Afrique n’est pas la moins préoccupante. Assurer l’accès à l’eau et préserver cette ressource naturelle: voilà le double credo. Là encore, le Maroc a été initiateur avec l’appel de Rabat lancé par la conférence sur “L’eau en Afrique: pour une justice climatique” tenue en juillet dernier. La communauté internationale a été interpelée à cette occasion pour oeuvrer à l’intégration des agendas de l’eau et du climat ainsi qu’à des écosystèmes protégés. Il s’agit de répondre aux besoins de l’adaptation aux changements climatiques et aux objectifs du développement durable en Afrique. Le souci est d’accorder une place privilégiée aux mécanismes de financement devant être mis en place pour faire face aux changements climatiques.
Que peut faire le Maroc à cet égard? L’expérience du Royaume dans le domaine de la gestion des ressources en eau a porté ses fruits. Il a permis de développer des compétences et un savoir-faire de forte valeur ajoutée. Il a ainsi mis au point un modèle efficient de planification et de gestion de l’eau qui est exportable en Afrique et qui fait l’objet d’un grand intérêt. Des accords et des mémorandums ont d’ailleurs été signés avec plusieurs pays africains couvrant également la réalisation d’infrastructures hydrauliques et le renforcement des capacités.
Renforcement des capacités
Enfin, la diplomatie climatique bénéficie d’autres atouts: un cadre législatif et réglementaire opérationnel et efficient intéressant tous les secteurs touchés par les exigences du développement durable (loi sur l’eau, pollution, protection des ressources naturelles, énergies renouvelables); sans oublier les potentialités du partenariat public-privé (eau, énergie,…).
La diplomatie climatique est aujourd’hui mise en oeuvre et confortée par la politique du Maroc en interne, ses acquis et ses innovations et elle trouve un grand écho à l’international, notamment en Afrique. Elle peut exciper d’un capital et d’une expertise.
Elle se fonde sur un projet national dont les grandes lignes et les priorités sont identifiées. Enfin, elle améliore le rôle du Maroc dans les groupes de négociations climatiques partageant avec lui les mêmes intérêts économiques et stratégiques. Elle renforce au final les capacités de négociation du Maroc en élargissant son influence dans le continent au titre de ce que l’on appelle le “soft power”, à côté de la diplomatie spirituelle, économique et sécuritaire