Taïeb Bencheikh fait montre de beaucoup de retenue dans ce livre. Il le reconnaît en précisant que « la vérité est à lire entre les lignes»...
Décédé dans la nuit du dimanche 20 mai à lundi 21 mai 2019, Taïeb Bencheikh aura eu une vie bien remplie. Sa famille vient de publier un livre qu’il avait écrit, à son rythme, par séquences. Non pas des «mémoires» -il s’en défend-, mais un parcours. Une vie. Des engagements. Des convictions aussi. Il ne dit pas tout alors qu’il a été durant des décennies pratiquement au premier plan des acteurs de la vie nationale, dans les domaines économique et politique.
Il entend se limiter à un simple témoignage «d’un Marocain qui a traversé la seconde moitié du siècle passé et entamé le siècle présent». L’ouvrage s’articule autour d’une dizaine de chapitres. Est ainsi couverte ce que l’on pourrait appeler une longue marche: de son village d’origine de Taznaght à Meknès puis Casablanca, Paris et Rabat; des ferveurs militantes (Parti communiste et UNEM) qui finiront par évoluer pour le conduire au RNI de Ahmed Osman, en 1978; des responsabilités électives et publiques enfin avec la députation, la présidence de la mairie de Meknès et son action au sein de la direction du parti de la colombe.
Valeur ajoutée
«Technocrate»? Il l’était sûrement, mais avec une valeur ajoutée: celle du capital militant qui avait forgé se personnalité; il lui permettait toujours de ne pas évacuer les attentes et les besoins des citoyens, leurs aspirations les plus profondes et parfois les mobilisations et les contestations fiévreuses qui ont ponctué bien des circonstances. Sur tout cela, il avait du recul, servi par une intelligence dialecticienne couplée à la prise en compte des réalités bien contraignantes.
A ses yeux, sans doute la politique publique est celle du possible mais en même temps il veillait à l’insérer dans le registre du souhaitable. Il ne cède rien aux envolées populistes de certains ni aux postures des autres: il garde toujours un recul et un regard critique. Mais il croit à la nécessité du mouvement, de la réforme; parce que le statu quo n’est pas la bonne réponse à apporter à la demande sociale tellement contraignante aujourd’hui.
Il peut ainsi être rangé du côté de la social-démocratie, longtemps récusée et dénoncée par des doctrinaires sectaires. A-t-il été entendu? Il ne le dit pas vraiment; l’on mesure cependant, que tel n’a pas été vraiment le cas par ceux-là mêmes qui avaient en charge l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques publiques. Avec le consensus tardif qui s’est fait autour de la nécessité d’un réexamen conséquent au modèle de développement qui a prévalu depuis des décennies, ses inclinations et ses interrogations prévalent donc; sa voix porte davantage -elle n’en a que plus de sens et de relief maintenant qu’il a été rappelé à Dieu.
Défis actuels
Taïeb Bencheikh fait montre de beaucoup de retenue dans ce livre. Il le reconnaît en précisant que «la vérité est à lire entre les lignes»... Mais il se «lâche», si l’on ose dire, dans la conclusion en livrant enfin sa grille de lecture. Que relève-t-il? Une bipolarité politique avec, d’un côté, une monarchie réformatrice et, de l’autre, des partis politiques dévitalisés. Une situation jugée «néfaste et pour la monarchie et pour les partis politiques».
S’il retient bien qu’il faut rêver mais selon ses moyens, il rappelle que «le Maroc est un petit pays, modeste et encore à construire», ce qui doit être un levier pour une stratégie d’insertion dans le grand marché international. Il invoque la question de la réforme du système éducatif et professionnel incluant des langues étrangères. Il appelle ainsi à «une vision sur le long terme» qui reste encore à définir. Il plaide aussi pour une politique de justice sociale pour «rétablir la dignité humaine».
Le Maroc doit faire face à tous les défis actuels. Le diagnostic en a été fait -c’est même le «trop-plein»; lui qui a été ministre de la Santé, s’interroge sur l’absence -encore?- de médication et la lenteur des réformes. Un message post-mortem qui garde toute sa pertinence...