Une réponse à la crise du Covid-19…, mais !

PROJET DE LOI DE FINANCES 2021

Dans cette situation de crise aiguë où plusieurs sociétés sont en phase de déposer le bilan, où plusieurs salariés perdent leurs emplois, il paraît beaucoup plus raisonnable d’appliquer l’adage «De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins».

Sans l’ombre d’un doute, le Projet de loi de finances (PLF) 2021 constitue une réponse politico-budgétaire audacieuse pour sortir de la situation économique et sociale engendrée par la pandémie du Covid-19. Le poids des décisions politiques, traduites par les hautes orientations royales, se manifeste dans l’effort financier considérable qui sera déployé pour soutenir la politique de relance économique et celle de l’inclusion sociale, dans une double logique de redéfinition des priorités et de transformation de la crise en opportunités.

Sans faillir au principe de collaboration entre les deux pouvoirs législatif et exécutif, afin d’adopter les options les plus judicieuses, particulièrement en ces moments de fortes incertitudes, la présentation du PLF 2021 devant les élus de la Nation n’a pas manqué de soulever des points de discorde qui ont trouvé écho chez l’opinion publique, et qui méritent un véritable débat autour des questionnements qu’ils suscitent. Parmi ces points, le retour de la contribution sociale sur les bénéfices et les revenus, appliquée à toutes les sociétés réalisant un bénéfice net supérieur à 5 millions de dirhmas et les personnes physiques titulaires de revenus nets supérieur à 120.000 dirhmas par an. Si une telle disposition est louable pour renforcer l’élan de solidarité nécessaire dans la conjoncture actuelle, elle reste néanmoins non exhaustive, du fait qu’elle ne concerne que 1% des sociétés et 8% des salariés, ce qui constitue un manque à gagner important pour le Trésor public et surtout, une occasion ratée de faire participer le maximum de citoyens dans un mouvement de solidarité national à l’image de l’ampleur de la crise et de ses effets délétères.

Une question pertinente
En effet, dans cette situation de crise aiguë où plusieurs sociétés sont en phase de déposer le bilan, où plusieurs salariés perdent leurs emplois et où le taux de chômage et la précarité ne cessent d’augmenter, il paraît beaucoup plus raisonnable d’appliquer l’adage «De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins», et que toutes les sociétés qui dégagent des bénéfices et tous ceux qui ont un revenu mensuel stable participent à cet élan solidaire, quitte à appliquer un taux progressif. Cela dégagera certainement plus que les 5 milliards de dirhams prévus et permettra de couvrir d’autres charges sociales urgentes, via l’aide frontale, auprès des populations marginalisées, particulièrement celles des zones rurales et montagneuses, si vulnérables en cette saison de froid et déjà affectées par les répercussions de la crise sanitaire et les deux années de sécheresse successives.

Si cette contribution sociale exceptionnelle s’avère être, comme le veut le PLF, une des options de financement de la protection sociale, via le soutien à apporter aux organismes compétents, en complément au système contributif, cela repose la question légitime des ressources pérennes et non exceptionnelles que doit mobiliser l’Etat pour financer sa politique de protection sociale. D’où la nécessité d’une réforme fiscale courageuse qui sort des sentiers battus. Une fiscalité efficace, équitable et source de progrès, au service des choix économiques et sociaux stratégiques que devrait esquisser le nouveau modèle de développement afin que croissance et inégalités fassent enfin bon ménage. Imposer le patrimoine, les successions, les investissements non productifs, s’attaquer aux systèmes économiques basés sur la spéculation et la rente, remettre en question les dépenses fiscales qui n’ont pas eu les effets escomptés, ou qui ont quasiment atteint leurs objectifs et donc n’ont plus lieu d’être, sont autant de voies à emprunter de manière urgente.

Cette question est d’autant plus pertinente quand on voit l’effort très important d’investissement public, et les risques qu’il engendre sur les équilibres macro-économiques, et sur le recours à la dette comme instrument de réduction des déficits publics, même si la dette est principalement affectée à l’investissement. Au titre de 2021, le gouvernement prévoit 230 milliards de dirhams pour l’investissement public, dont 45 milliards provenant du Fonds Mohammed VI pour l’investissement et 185 milliards du budget général, des établissements et entreprises publics (EEP) et des collectivités locales. Certes, il s’agit d’un nouveau record à l’ampleur des défis affrontés, mais qui n’empêche pas de se poser des questions sur l’effet d’entraînement qu’exerce en général la dépense publique sur l’investissement privé dans notre pays. Un tel investissement, sur lequel l’actuel modèle de développement a placé ses espoirs pour créer de la croissance, des revenus et des emplois, a finalement manqué à l’appel.

Nécessité d’un débat
Et, pour ne pas faire porter le chapeau entièrement au privé, nul ne manquera de soulever les dysfonctionnements et déficits, en termes de politiques publiques, cumulés durant plusieurs années et qui n’ont été que plus révélés par la crise du Covid-19. Des politiques économiques et sociales aux impacts limités, qui font que le volume du secteur informel reste important et les filets de la protection sociale faibles, notamment pour les couches les plus vulnérables.

En tenant compte du repli attendu des recettes, et pour financer ses engagements en investissements publics, l’État tablera encore une fois sur les recettes d’emprunt, qui avoisineront les 107 milliards de dirhams en 2021, aggravant l’endettement global, qui va dépasser le seuil de 90% du PIB, alourdissant ainsi le fardeau des générations futures. Les privatisations et, plus globalement, les cessions d’actifs publics, qui ne sont pas toujours de bonnes solutions du fait qu’elles privent l’état de ressources futures, devraient rapporter 10 milliards de dirhams. Enfin, le recours aux mécanismes de financements innovants dans le cadre de concessions ou de partenariat public- privé devraient ramener 14 milliards de dirhams de recettes. Encore heureux que cette nouvelle forme de privatisation soit provisoire dans la mesure où les actifs concernés reviennent dans le patrimoine des administrations à la fin du contrat. Toutefois, l’acquisition en 2020 par la CMR de 5 CHU dans le cadre de ce schéma de financements innovants assortie d’un contrat de bail sur une longue durée, pose la question de la durabilité de ce genre de financements, alors même que l’État entame paradoxalement une politique de rationalisation du fonctionnement des EEP pour plus de performance et de transparence.

Tous ces questionnements importants autour des dispositions budgétaires qui constituent des tournants méritent une communication franche et claire de la part du gouvernement, un débat fécond et responsable au sein du parlement, un dialogue permanent et une concertation efficace avec toutes les parties prenantes, de manière à gagner une large adhésion, à partager les responsabilités et à maintenir la mobilisation nationale face aux défis de la conjoncture actuelle.

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