Est-ce la normalisation ?
Le sujet de la normalisation avec Israël est difficile à traiter. Il est épineux, en ce qu’il fait appel, au Maroc comme dans le reste des pays de majorité musulmane, au registre de l’émotion.
Pas forcément à tort, il est vrai. En effet, depuis sa proclamation en 1948, l’Etat hébreu s’est rendu coupable d’exactions à répétition à l’encontre du peuple palestinien, qu’il tue et blesse par dizaines de milliers sans égard aux conventions internationales, en plus des millions de réfugiés dispersés aujourd’hui encore entre la Jordanie, la Syrie et le Liban.
Il occupe d’ailleurs, malgré la condamnation de la majeure partie de la communauté internationale, des territoires reconnus pourtant par l’Organisation des Nations unies (ONU) comme palestiniens, à savoir la Cisjordanie, la partie orientale de la ville de Jérusalem. S’ajoute à cela une lecture confessionnelle du conflit, opposant dans une bataille prétendument eschatologique les Musulmans/Palestiniens aux Juifs/ Israéliens, qui fait que depuis l’origine, beaucoup de Marocains ont fait leur la cause de la Palestine.
A chaque fois, ainsi, ils répondent présents, massivement, aux appels à manifester en sa faveur -ou contre Israël, c’est selon. De fait, il arrive souvent qu’une marche rassemble plus d’un million de personnes. Le Marocain donne beaucoup par ailleurs, au plan financier, aux Palestiniens. Chaque année, l’agence “Bayt Mal Al-Qods Acharif”, initiée en 1998 par le roi Hassan II (1961- 1999) pour préserver entre autres les droits arabo-islamiques de Jérusalem, reçoit des millions de dirhams de la part de personnes qui, pourtant, ne sont pas toutes richement loties. C’est dire que la Palestine tient à coeur, dans le Royaume.
Propositions “absurdes”
Au point que certaines voix, à l’instar du président de l’Observatoire marocain contre la normalisation, Ahmed Ouihmane, la priorisent sur la question nationale du Sahara. Des propos polémiques tenus en décembre 2015 dans une conférence du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR) dans la ville de Salé. “Nous avons le devoir de nous engager, tous, en faveur de la cause palestinienne”, nous affirme l’intéressé. Même des Juifs marocains s’opposent à la normalisation. On pense notamment à Sion Assidon, qui dirige l’antenne marocaine de BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), une organisation non gouvernementale (ONG) internationale militant contre les intérêts économiques israéliens.
Ceci dit, l’affaire doit-elle nécessairement tenir des ressorts affectifs? En 2014, le chercheur Hassan Aourid s’était attiré les foudres des milieux militants en qualifiant d’”absurdes” des propositions de lois, soumises à la Chambre des représentants, chambre basse du Parlement, criminalisant la normalisation avec Israël. Il s’agissait de deux propositions de lois, l’une émanant des groupes du Parti de la justice et du développement (PJD), du Parti de l’Istiqlal (PI), de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et du Parti du progrès et du socialisme (PPS), l’autre celui du Parti authenticité et modernité (PAM).
Déclarations péremptoires
L’argumentaire du Pr Aourid n’était pourtant pas dénué de fondement. “Israël existe et il est membre des Nations Unies”, écrivait-il dans le mensuel Zamane. “Les premiers concernés, c’est-à-dire les Palestiniens, ne remettent pas en cause son existence, mais plutôt sa politique”. Les deux propositions de lois sont d’ailleurs restées lettre morte. Le PAM avait même retiré dans la foulée sa proposition de loi. Il faut dire que la levée de boucliers avait été immédiate.
Dans le monde entier, plusieurs personnalités publiques avaient vivement réagi. Dans une lettre qu’il avait adressée au roi Mohammed VI, Shimon Samuels, directeur des relations internationales du Centre Simon-Wiesenthal, reconnu par l’ONU, avait demandé de “défendre la Constitution et faire en sorte que ce projet anticonstitutionnel et nuisible reste à l’état de projet”. “Les dispositions du projet enfreignent le règlement contre la discrimination institué par le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)”, avait-il plaidé. Nous avons tenté de joindre Pr Aourid pour quelques éclaircissements à ce sujet, mais son téléphone était éteint.
Sa position reste défendable, à bien des égards, si l’on tient compte de la réalité objective du terrain, à tout le moins plus complexe que les déclarations péremptoires d’aucuns: faut-il condamner Israël quand il commet des actes barbares dans ses opérations militaires récurrentes dans les territoires palestiniens (2006, 2008-2009, 2012, 2014)? Oui, assurément, et le Royaume le fait d’ailleurs à chaque reprise par la voix de Mohammed VI. En novembre 2015, à l’occasion de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, le roi, dans un message au président du Comité des Nations Unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, “press(ait)” à ce titre “la communauté internationale et les puissances influentes d’assumer pleinement leurs responsabilités”.
Pour autant, criminaliser la normalisation? C’est atteindre à la position du Maroc, plutôt accomodante, avec des efforts reconnus par tous dans l’avancement du dialogue entre Palestiniens et Israéliens, indépendamment des passions bornées des uns. Ainsi, malgré les critiques d’un certain nombre de pays de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), principalement l’Iran, Hassan II n’hésitait pas dans ce cadre à accueillir, dans la ville d’Ifrane en 1985, Shimon Peres, alors Premier ministre israélien.
MRE comme les autres
Qui plus est, en tant que roi du Maroc, Mohammed VI préside depuis son accession au trône en 1999 le Comité Al-Qods, chargé notamment de l’évolution de Jérusalem. A ce titre, il appelle incessamment à une solution “juste”, “globale” et “durable” sur la base de la solution de deux Etats, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité -ce qui revient le cas échéant à reconnaître la présence juive au Levant, qui n’a au surplus jamais souffert de légitimité.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que près d’un dixième des huit millions d’Israéliens sont d’origine marocaine, d’après un guide publié début mars 2016, par le gouvernement Abdelilah Benkirane, et que beaucoup d’entre eux restent attachés à l’heure actuelle à la terre de leurs ancêtres. D’ailleurs, à partir de l’année scolaire 2016/2017, l’enseignement de l’arabe dialéctal marocain devrait être introduit dans le système éducatif israélien, comme preuve de cette nostalgie encore vivace. Criminaliser la normalisation, c’est d’abord criminaliser les liens que ces Marocains résidents à l’étranger (MRE) comme les autres souhaitent toujours entretenir avec leur pays.