AFFAIRE DE LA SAMIR

Règlements de comptes sans le OK de Corral

Au bout d’une bataille judiciaire de plus de six ans, la justice internationale a finalement plutôt donné raison à l’État marocain dans son litige avec le Saoudien Corral Petroleum Holdings. Une victoire qui lui était, indéniablement, légitimement due mais qui, pour autant, n’enlève pas toutà- fait à sa responsabilité morale historique dans la liquidation de la société pétrolière.


Un satisfecit tout de même... Telle pourrait, in fine, être présentée la position de l’État marocain eu égard au jugement rendu le 15 juillet 2024 par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) dans son litige avec le groupe saoudien Corral Petroleum Holdings. Depuis mars 2018, ce dernier lui réclamait la modique somme de 2,7 milliards de dollars en contrepartie de la liquidation, présentée comme par trop précipitée par ses soins, de la Samir, la société pétrolière nationale sur laquelle il avait mis le grappin il y a près d’un quart de siècle, en mai 1997 précisément. Liquidation qui, rappelons-le, avait été prononcée en août 2016 par la justice marocaine du fait des quelque 45 milliards de DH (MMDH) de dettes qu’elle traînait dans son ardoise, jugées comme insurmontables.

En lieu et place des 2,7 milliards de dollars que Corral Petroleum Holdings voulait que le Maroc allonge, il n’aura donc finalement obtenu “que” 150 millions de dollars; soit “moins de 6% du montant que ledit groupe avait réclamé”, comme l’a souligné, dans une déclaration à l’agence Maghreb arabe presse (MAP), la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui. Présente à Washington, où se trouve le siège du CIRDI, pour son prononcé, la responsable a, ainsi, implicitement fait valoir que s’il y avait peutêtre eu des manquements de la part des pouvoirs publics dans cette affaire de la Samir, le CIRDI ne les considère, pour autant, pas comme suffisamment valables pour donner totalement raison à Corral Petroleum Holdings, si ce n’est à minima -à hauteur de 6%, dirait-on. “Nous demeurons persuadés que le Maroc a toujours eu une position juste vis-àvis du groupe Corral”, a également indiqué Nadia Fettah Alaoui à la MAP. Et il est vrai que, comme celle-ci l’a par ailleurs rappelé, l’État a fait des pieds et des mains, surtout à la suite de l’incendie dont avait fait l’objet, en novembre 2002, la raffinerie dont dispose la Samir dans la ville de Mohammédia, pour sauver les meubles, allant jusqu’à la conclusion, en décembre 2004, d’une convention de modernisation de l’ordre de 6 MMDH.

Engagement non tenus
En revanche, on peut sans doute affirmer que Corral Petroleum Holdings a rarement tenu ses engagements depuis que la Samir a été privatisée à son profit, et qu’au final c’est lui qui assume la plus grande part de responsabilité dans sa liquidation -une autre part revenant assurément à l’État pour avoir, de nombreuses années durant, laissé faire, sans à aucun moment chercher vraiment à resserrer la vis, comme on y reviendra. Ainsi, l’idée de départ, lorsqu’il fut décidé de céder la Samir dans le contexte de “crise cardiaque” qui, selon la célèbre formule du roi Hassan II, présidait aux destinées nationales au milieu des années 1990, fut, dans un premier temps, de disposer de liquidités immédiates pour pouvoir continuer de tenir le gouvernail, et, dans un deuxième temps, d’introduire dans la bergerie, si l’on puit dire, des loups du secteur à même de faire fructifier un véritable joyau de l’industrie made in Maroc.

Depuis sa création, en février 1959, à la suite d’une convention signée avec la société pétrolière italienne ENI, en passant par sa nationalisation au cours de la vague de marocanisation enclenchée dans la foulée du discours du trône du 3 mars 1973, la Samir allait ainsi parvenir, de proche en proche, à combler une large partie des besoins nationaux en matière d’hydrocarbures, la raffinerie de Mohammédia finissant par atteindre, au tournant du siècle, une capacité annuelle de raffinage de 10 millions de tonnes, soit 80% de la demande nationale, en sus de la moitié de la consommation de gasoil.


Contexte de crise
C’est de ce fait que Corral Petroleum Holdings se voit remettre, suite à une concession de gré à gré octroyée par le ministre délégué chargé de la Privatisation et des Établissements de l’État, Abderrahmane Saïdi -décédé en mai 2020 à Casablanca-, les clés de la maison mais aussi celles, soit dit en passant, de la Société chérifienne des pétroles (SCP), que le groupe fait fusionner, à partir de juin 1999, avec la Samir en contrepartie d’une promesse d’investissements de 4,6 MMDH. Inutile peut-être de préciser que cette promesse, personne n’en a jamais vu la couleur, et qu’au contraire la Samir finit, à terme, par perdre de son lustre.

En janvier 2009, Corral Petroleum Holdings fit même fermer, à Sidi Kacem, la raffinerie que comptait depuis l’époque coloniale la SCP dans cette ville de la plaine du Gharb, très affectée depuis lors par cette décision. En dehors de la convention de décembre 2004, l’État fut aussi, des années durant, des plus indulgents envers Corral Petroleum Holdings, résistant par exemple longtemps à réclamer des créances au niveau des douanes qui atteignirent, à un moment, les 11 MMDH; ce sont ces créances qui, au bout du compte, firent que la Samir ne pouvait plus résister à une liquidation et ont, par conséquent, achevé de convaincre le CIRDI de donner raison au Maroc.

Bataille judiciaire
Ce qui n’enlève, pour autant, rien à la responsabilité morale de l’État marocain dans ce qui s’est passé, puisque depuis qu’il a privatisé la Samir en passant par les étapes ultérieures qui font qu’aujourd’hui la société n’a plus pignon sur rue, il a indéniablement fait montre d’une mollesse sinon complice, du moins coupable et qui, en termes financiers publics, coûte une fortune considérable eu égard à la facture énergétique nationale -on parle de centaines de millions de DH par exercice, avec par ailleurs aussi une répercussion directe sur le taux d’inflation.

Au demeurant, la bataille judiciaire est, il faut en faire mention, loin d’être terminée et devrait certainement se prolonger au bout d’un appel initié par Corral Petroleum Holdings, et peutêtre même l’État marocain lui-même, qui, quand bien même, voudrait, pour le principe, être complètement absous. “Le Royaume continue (...) d’assumer ses responsabilités et ses droits, vis-à-vis de ses partenaires et des instances internationales, en total respect des conventions internationales et bilatérales”, a, quoiqu’il en soit, déclaré, à ce propos, Nadia Fettah Alaoui. Vers un jugement encore plus favorable, peut-être?.

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