Au moment où Khalid Ait Taleb déclare que le besoin se chiffre à 65.000 postes, l’hémorragie des infirmiers se poursuit au grand dam, d’abord, des contribuables aux revenus modestes et ensuite, du chantier royal de la protection médicale et sociale.
C’est un nouveau chantier de réforme du système de santé qui est mis sur les rails par Khalid Ait Taleb, ministre de la Santé et de la Protection sociale. L’énième réforme propose des mesures pour augmenter la capacité d’accueil et la qualité de service de nos hôpitaux et motiver le personnel de santé, médecins, infirmiers et techniciens de santé. Ces mesures prennent du temps à être appliquées. Normal, dirait-on.
Mais a-t-on agi ou réagi ? La question est loin d’être anodine. On agit quand on anticipe et prévoit le mal avant qu’il pointe à l’horizon. On réagit quand le mal est déjà fait et qu’on essaie juste de réparer le préjudice subi. Or, on dirait qu’on n’est ni dans cette option ni dans l’autre. Car malgré les sonnettes d’alarme du Syndicat indépendant des infirmiers contenues dans un rapport qu’il a présenté au Conseil économique social et environnemental (CESE) sur l’immigration des médecins et des techniciens de santé marocains en général et de 1000 infirmières et infirmiers en particulier, on ne fait toujours rien pour les retenir. Au contraire, on promet de former plus d’infirmiers et de techniciens de santé. Pour qu’ils quittent le pays en quête d’horizons meilleurs ? C’est insensé, absurde. Cette politique gouvernementale bancale ne va pas solutionner le problème. Elle risque de l’aggraver.
Les indices d’une crise de communication sont de plus en plus visibles. Jeudi 15 juin 2023, les infirmiers et infirmières du Syndicat indépendant des infirmiers et Techniciens de la Santé du Maroc ont organisé un sit in et battu le pavé devant le ministère de la Santé et de la Protection Sociale. S’estimant lésés, ils cherchaient à faire entendre leurs doléances. Conditions de travail inadéquates, absence de primes de motivation, salaires très bas, système de retraite… , autant de facteurs qui encouragent la fuite des professionnels du secteur vers des pays qui offrent des conditions beaucoup plus intéressantes et un cadre de travail plus convenable, notamment en Europe et au Canada. Les sit-in deviennent récurrents. Les même doléances reviennent comme un refrain.
C’est une manière de dire que rien ne va au sein de l’hôpital public et que nos infirmiers ont ras-le-bol d’être non écoutés. Parer à cette crise ne demande pas toute une réforme. Le ministre de la Santé pourrait bien prendre quelques décisions en urgence, en s’appuyant sur son Chef de gouvernement et sur les députés de la majorité au Parlement, afin de motiver cette catégorie du personnel de santé. Au moment où M. Ait Taleb déclare, début juin, devant le Parlement que le besoin se chiffre à 65.000 postes (infirmiers et techniciens de la santé), l’hémorragie des infirmiers se poursuit au grand dam, d’abord, des contribuables aux revenus modestes et ensuite, du chantier royal de la protection médicale et sociale.
En parlant de ce chantier, qui a atteint un stade très avancé, des millions de travailleurs indépendants et de non-salariés ont adhéré au régime d’assurance maladie obligatoire (AMO) de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). L’on se demande ainsi si la finalité de ce chantier est d’intégrer ces couches sociales dans le système de protection sociale et médicale en vue d’en faire des effets d’annonce ou plutôt de les prendre réellement en charge ? Si la réponse est de les prendre en charge médicalement, comment alors est-ce faisable sachant que la pénurie du personnel de la santé s’accentue d’année en année ?
Au lieu de lancer le débat sur la révision à la hausse des tarifs des soins de santé dans le public, il serait logique de penser au préalable à rehausser le niveau et la qualité de ces soins. Et ce n’est pas en politisant le dossier des doléances du personnel de la santé que nous allons stopper l’hémorragie.